Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/196

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qui unit les femmes. Je suis le fils d’un bourreau ; cette affreuse vérité n’est jamais absente de ma pensée lorsque je reviens chez mes parents, et au milieu de ces scènes domestiques dans lesquelles je serais si heureux de trouver du plaisir. Balthazar a cru me rendre un service en me faisant élever dans des habitudes si différentes des siennes ; mais, pour compléter cet ouvrage, le voile n’aurait jamais dû être soulevé !

Adelheid garda le silence. Quoiqu’elle conçût les sentiments qui guidaient un homme élevé si différemment de ceux à qui il devait la naissance, elle n’approuvait pas toutes les réflexions qui pouvaient altérer le respect d’un enfant pour ses parents.

— Un cœur comme le vôtre, Sigismond, dit-elle enfin ne peut pas haïr sa mère !

— Vous me rendez justice. Mes paroles ont mal reproduit mes pensées, si je vous ai laissé une telle impression. Dans des moments plus calmes, je n’ai jamais regardé ma naissance que comme un malheur, et mon éducation que comme une raison de plus pour respecter et aimer mes parents, quoiqu’elle m’empêche sous quelques rapports de sympathiser avec eux. Christine elle même n’est pas plus sincère, plus affectionnée que ma mère. Il est nécessaire, Adelheid, de voir et de connaître cette excellente femme, pour comprendre combien les usages du monde sont injustes à son égard.

— Nous ne parlerons maintenant que de votre sœur. A-t-elle été fiancée sans son consentement, Sigismond ?

— J’espère que non ; Christine est douce ; et cependant, quoique ni parole ni regard ne trahisse ce qu’elle éprouve, elle sent comme moi le fardeau qui nous oppresse. Elle s’est habituée depuis longtemps à ne juger de ses qualités qu’à travers le prisme mélancolique de sa position, et elle évalue trop peu ses excellentes qualités. Beaucoup de choses dans cette vie dépendent de nos habitudes et de l’estime que nous faisons de nous-mêmes, Adelheid ; car celui qui est préparé à admettre son peu de valeur devant les hommes, se familiarisera bientôt avec une position au-dessus de ses justes prétentions, et finira peut-être par être ce qu’il craignait. Telles ont été les conséquences de l’aveu qui révéla à Christine sa naissance. Il y a pour elle une grande générosité à passer sur ce désavantage, et elle a doué le jeune homme capable d’un tel acte de courage de mille heureuses qualités qui n’existent, je le crains, que dans son imagination exaltée.