Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/234

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bien acquis, lors même qu’ils entraîneraient, comme ils le font en effet, des abus pénibles à supporter, et l’opposition non méritée d’une famille châtiée pour les fautes de ses ancêtres ! Ce n’est pas là cette justice qui émane du ciel ; et il viendra un jour où il faudra rendre un terrible compte de cette sanglante cruauté !

— Le chagrin que vous cause cette charmante fille, bonne Marguerite, vous inspire d’étranges paroles.

— N’est-elle pas l’enfant d’un bourreau et d’une femme issue aussi de ces races proscrites, comme la belle personne qui est placée près de toi est l’enfant du noble assis à tes côtés ? Dois-je l’aimer moins, parce qu’un monde cruel la repousse ? N’ai je donc pas ressenti les mêmes douleurs à sa naissance, la même joie à son premier sourire, la même espérance dans les promesses de son enfance, la même sollicitude, quand j’ai consenti à remettre son bonheur entre les mains d’un autre, que la femme qui porta dans son sein cette jeune fille plus fortunée, mais non plus belle ? Dieu a-t-il créé deux natures ? nous a-t-il donné d’autres entrailles ; un autre amour pour nos enfants ? a-t-il ainsi distingué ceux qui sont riches et honorés de ceux qui sont méprisés, foulés aux pieds ?

— Allons, bonne Marguerite, vous posez la question sous un point de vue qui n’est pas ordinaire. Nos usages vénérés, nos édits solennels, les règlements de nos cités, la fermeté de notre gouvernement qui produit de si heureux effets, tout cela n’est donc rien ?

— C’est beaucoup ; car je crains qu’ils ne l’emportent sur le bon droit, qu’ils ne durent encore quand les larmes de l’opprimé seront épuisées, quand ils seront oubliés, eux et leurs malheurs !

— Votre fille est belle et modeste, observa le signor Grimaldi ; et d’autres offres vous dédommageront sans doute de cette injure ; celui qui a pu la repousser n’était pas digne d’elle !

Marguerite tourna encore ses yeux étincelants vers sa fille, toujours pâle et immobile ; l’impression de son regard s’adoucit ; elle l’entoura de ses bras, l’attira sur son sein comme la colombe cherche à couvrir sa jeune couvée. Toute la violence de ses sentiments parut se confondre dans son amour maternel.

— Mon enfant est belle, herr Peter, continua-t-elle sans s’apercevoir de l’interruption. Mais elle est plus que belle, elle est bonne