Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/250

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avec le soleil de demain, et tu pourrais nous accompagner ?

— J’irai où tu voudras, — où je pourrai être avec toi, — partout où je pourrai cacher ma honte !

Le sang d’Adelheid reflua sur son front, son expression parut imposante à la simple et naïve Christine, quand elle répondit avec la vertueuse indignation d’une femme :

— La honte est un mot qui s’applique à l’homme bas et mercenaire, vil et sans foi, mais il ne peut s’appliquer à toi, mon ange.

— Oh ! non ! ne le condamnez pas ainsi, balbutia Christine, en se couvrant le visage de ses mains. Il ne s’est pas senti la force de supporter le poids de notre infamie, et il doit plutôt inspirer de la pitié que de la haine.

Adelheid se tut un instant, mais elle considérait la tremblante Christine, dont la tête était retombée sur sa poitrine avec l’expression d’une profonde mélancolie.

— Le connaissiez-vous beaucoup ? demanda-t-elle à voix basse, suivant la chaîne de ses propres pensées, sans trop réfléchir à la question qui lui échappait : j’avais espéré que ce refus ne vous causerait pas d’autre peine que l’inévitable et mortifiante sensation d’un amour-propre blessé, qui, je le crains, appartient à la faiblesse de notre sexe et à nos habitudes.

— Tu ne sais pas combien une préférence a de valeur pour celui qui ne connut que le mépris ; combien la pensée d’être aimé devient chère à ceux qui, hors des limites étroites de leur famille, n’ont jamais rencontré que le dédain et l’aversion ! Tu as toujours été estimée, honorée, heureuse ! Tu ne peux pas savoir combien l’apparence même d’une préférence est précieuse à celui que le monde entier repousse !

— Ne me parle pas ainsi, je t’en supplie ! dit avec précipitation Adelheid, frappée au cœur par ces paroles ; il est rare dans cette vie de parler avec franchise de soi-même. Nous ne sommes pas toujours ce que nous paraissons ; lors même que nous serions accablés de tous les malheurs, si nous avons évité ceux que le vice amène, n’avons-nous pas l’assurance d’une existence meilleure, où nous trouverons une pure, une inaltérable justice !

— J’irai avec toi en Italie, répondit Christine, paraissant calme et résolue, et le rayon d’une sainte espérance brilla sur ses traits ; plus tard nous irons ensemble dans un monde plus heureux.

Adelheid serra sur son cœur cette faible plante mûrie par la douleur. Elles pleurèrent encore, mais avec moins d’amertume.