Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/253

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spectacle à tous ceux qui sont sensibles aux beautés de la nature.

Adelheid s’empressait de faire remarquer à sa compagne les différents objets qui se déroulaient devant elles ; elle espérait ainsi distraire Christine de sa tristesse, augmentée encore par le regret d’avoir quitté sa mère, dont elle était tout à fait séparée pour la première fois de sa vie ; car durant les années qu’elles n’avaient pas habité sous le même toit, leurs rapports étaient secrets, mais continuels. Christine se prêta aux douces intentions de sa nouvelle amie, et s’efforça de prendre plaisir à ce qu’elle voyait, mais ce n’était pas sans la jalouse restriction que les malheureux font toujours en faveur des causes secrètes de leur douleur.

— Cette tour vers laquelle nous avançons est Châtelard, dit l’héritière de Willading à la fille de Balthazar, avec le même motif de bienveillance : un manoir presque aussi antique, aussi honorable que celui que nous venons de quitter, mais qui n’a pas été si constamment la demeure d’une même famille ; celle de Blonay habite depuis mille ans sur le même rocher, et toujours elle fut renommée pour sa fidélité et son courage.

— Sûrement, si quelque chose dans le monde peut compenser les peines journalières de la vie, observa Christine avec l’expression d’un doux regret, et peut-être avec l’opiniâtreté du malheur, ce doit être de descendre de ceux qui ont occupé un rang honorable parmi les grands et les heureux de la terre ? C’est à peine si la vertu, la bonté, les grandes actions inspirent un respect égal à celui que nous éprouvons pour le sire de Blonay, dont la famille, comme vous le disiez tout à l’heure, occupe depuis un millier d’années ce rocher que nous voyons au-dessus de nous.

Adelheid se tut ; elle apprécia le sentiment qui avait conduit si naturellement sa compagne à une semblable réflexion, et elle sentit combien il était difficile de verser un baume consolateur sur une blessure aussi profonde.

— Il ne faut pas supposer que ceux que le monde honore le plus soient toujours les plus heureux, répondit-elle enfin ; les respects auxquels nous sommes habitués finissent par nous devenir nécessaires, sans être pour cela une source de plaisir, et la crainte d’en être privés est plus qu’égale à la satisfaction d’en jouir.

— Mais on doit admettre, du moins, que rien ne peut nous réconcilier avec le malheur d’être méprisés, repoussés.