Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/254

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— Parlons à présent d’autre chose, chère amie ; peut-être ne reverrons-nous pas de sitôt la scène imposante qui nous entoure ces rochers ; ces cascades, ces sombres montagnes, et ces brillants glaciers ; ne soyons pas assez ingrates pour mêler aux jouissances qui nous sont accordées, de vains regrets pour celles qui nous sont refusées.

Christine céda sans résistance au désir de son amie, et elles suivirent en silence les nombreux détours du sentier, jusqu’au moment où toute la caravane, après une longue mais douce descente, atteignit la route, qui était presque baignée par les eaux du lac. Nous avons déjà parlé, dans les premières pages de cet ouvrage, des remarquables beautés de cette rive du Léman. Après avoir gravi la hauteur de la saine et jolie ville de Montreux, les voyageurs redescendirent sous un ombrage de noyers, jusqu’aux portes de Chillon ; là, ils côtoyèrent les bords du lac, et atteignirent Villeneuve à l’heure désignée pour le repas du matin. Tandis qu’ils prenaient de légers rafraîchissements, ils reçurent les adieux de Blonay et de sa suite, non sans un mutuel échange de vœux aussi vifs que sincères.

Le soleil pénétrait à peine dans les profondeurs des vallons, lorsque ceux qui se dirigeaient vers le Saint-Bernard remontèrent à cheval. La route s’était éloignée du lac et traversait les alluvions considérables qui ont été déposées depuis trente siècles par les flots du Rhône, aidés, s’il faut en croire les phénomènes géologiques et les traditions anciennes, par de certaines commotions violentes de la nature. Pendant plusieurs heures les regards des voyageurs furent frappés d’une telle fertilité, d’un tel luxe de végétation, qu’ils auraient pu se croire dans les riches plaines de la Lombardie, plutôt que dans un passage de la Suisse, si, au lieu de l’étendue sans bornes des jardins de l’Italie, la vue n’avait pas été limitée par des masses de rochers perpendiculaires, qui se perdaient dans les nues, et qui n’étaient qu’à trois ou quatre milles les unes des autres, distance qui était diminuée de moitié à l’œil, par la simple conséquence de la grandeur de l’échelle sur laquelle s’élèvent ces vastes piliers de la nature.

Il était midi quand Melchior de Willading et son respectable ami traversèrent le Rhône impétueux sur le célèbre pont de Saint-Maurice. On entrait ici dans le Valais, qui était alors, aussi bien que Genève, allié, mais non confédéré des cantons suisses ; et tous les objets animés ou inanimés commençaient à offrir ce