Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/265

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haitant qu’une justice entière soit rendue à tous les hommes, je désirerais commencer à mettre l’innovation en pratique sur toute autre que sur ma propre fille. Que ceux qui ressentent tant d’amour pour la philosophie, l’équité et les droits naturels, nous donnent l’exemple.

— Tu viens, mon cher Melchior, de toucher l’écueil sur lequel sont venus échouer les mille plans combinés pour le perfectionnement du monde. Si nous pouvions travailler avec les bras des autres, donner avec leur bourse ; si leurs larmes étaient le prix de nos sacrifices, nous serions tous laborieux, désintéressés, notre générosité serait sans bornes ! et cependant il est mille fois dommage qu’une jeune fille si douce, si noble, ne soit pas enchaînée.

— Ce serait une chaîne en effet, ou plutôt un joug pour une fille de la maison de Willading, reprit le baron avec emphase ; j’ai envisagé cette affaire sous les différents points de vue qui étaient dignes de moi, Gaëtano, et sans vouloir repousser avec rudesse celui qui m’a sauvé la vie, et l’éloigner de nous, dans une circonstance où les étrangers même s’associent pour se prêter aide et protection, je suis cependant décidé à m’en séparer pour toujours à Turin.

— Je ne sais comment t’approuver ni comment te blâmer, mon pauvre Meichior ! C’était un triste spectacle que le refus d’épouser la fille de Balthazar, devant tant de milliers d’hommes !

— Et moi je le regarde comme un exemple salutaire, qui nous à avertis du précipice vers lequel une folle tendresse nous entraînait tous deux, mon ami.

— Tu as peut-être raison, et cependant je souhaite que tu ne sois pas dans la plus grande erreur où jamais chrétien soit tombé. Ces montagnes sont escarpées, Melchior, une fois que nous les aurons franchies, ne peut-on pas s’arranger de manière à faire oublier pour toujours la Suisse à ce jeune homme ? Il pourrait devenir Génois, et un tel changement ne t’offrirait-il pas le moyen de surmonter l’obstacle qui nous embarrasse ?

— L’héritière de ma maison, signor Grimaldi, n’est pas une fille sans nom pour renoncer ainsi à sa patrie et à sa famille.

— Je suis sans enfants, ou du moins comme si je n’en avais pas ; et lorsque la volonté et le pouvoir se trouvent réunis, on ne doit pas manquer son but. Nous reparlerons de ceci sous le ciel plus chaud de l’Italie ; on dit qu’il sait disposer les cœurs à la tendresse.