Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oublié ce qu’il devait à son rang, et qu’il était d’une condition élevée. Je partis avec douleur, car jamais je ne frappai sans demander a Dieu que ce fût le dernier coup ; mais ma douleur fut bien plus grande encore, lorsque j’atteignis la ville où le coupable attendait son sort. J’appris la mort de mon pauvre fils en mettant le pied sur le seuil de la prison, et je m’en retournai pleurer sur mon propre malheur avant de voir ma victime. Le condamné se désespérait de mourir ; il m’avait envoyé chercher longtemps avant le moment fatal, pour faire connaissance, disait-il, avec la main qui devait l’envoyer devant son souverain juge.

Balthazar s’arrêta : il paraissait méditer sur une scène qui avait probablement laissé dans son esprit un souvenir ineffaçable. Il frémit involontairement et leva les yeux qu’il tenait fixés sur la terre, puis il continua son récit avec l’air calme et paisible qui lui était habituel.

— J’ai été l’instrument involontaire de plus d’une mort violente ; j’ai vu les plus grands pêcheurs dans l’agonie d’un repentir subit, mais je n’ai jamais été témoin d’un combat aussi terrible entre la terre et le ciel, le monde et le tombeau, que celui que soutint ce malheureux à ses dernières heures. Il y avait des moments, il est vrai, où la douceur de l’Évangile pénétrait dans son esprit ; mais en général ses passions étaient si violentes, que les puissances de l’enfer seules pouvaient leur donner naissance dans un cœur humain. Il avait près de lui un enfant qui venait d’être sevré ; cette innocente créature paraissait élever de nouveaux remords dans son âme ; il le surveillait avec les soins d’un père, et cependant détestait sa vue, mais la haine paraissait prévaloir.

— C’est horrible ! murmura le doge.

— C’était plus horrible encore de la part d’un homme qui était condamné à mort. Il rejetait l’assistance des prêtres ; j’essayai de le consoler, moi qui n’inspirais jamais d’intérêt ; mais il eût été cruel d’abandonner un homme sur le point de mourir. Enfin, il me remit l’enfant avec une somme assez considérable pour l’élever jusqu’à l’âge mûr, et me laissa d’autres objets précieux, que j’ai gardés comme des preuves qui pourraient quelque jour m’être utiles. Tout ce que je pus apprendre de l’origine de l’enfant fut simplement ceci : Il était né en Italie, et de parents italiens ; sa mère mourut peu de temps après sa naissance ; son père vivait encore, et était l’objet de la haine implacable du con-