Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auditeurs. Profitant de cet avantage il changea subitement de tactique. Il promit de nouvelles révélations importantes, à la condition qu’on le laisserait gagner les frontières du Piémont. Le prudent châtelain s’aperçut que la cause commençait à devenir une de celles dans lesquelles la justice doit devenir aveugle dans l’acception la plus favorable de ce mot. Il convint avec son loquace coadjuteur, le bailli, de laisser le doge terminer cette affaire suivant ses désirs. Ce dernier, avec l’aide de Melchior et de Sigismond, s’entendit avec le marin et les conditions étaient faites lorsqu’ils se séparèrent pour aller se livrer au repos. Il Maledetto, sur lequel pesait l’assassinat de Jacques Colis, fut renvoyé dans sa prison temporaire, tandis que Balthazar, Pippo et Conrad furent mis en liberté.

Le jour se montra sur le Saint-Bernard bien avant que les ombres de la nuit eussent abandonné la vallée du Rhône. Tout fut en mouvement dans le couvent longtemps avant le lever du soleil, car chacun savait que les événements qui avaient troublé l’ordre et les habitudes paisibles des religieux étaient sur le point d’avoir un terme, et que ces derniers allaient reprendre le cours de leurs pieux exercices. Des prières s’élèvent constamment vers le ciel du sommet du Saint-Bernard. Mais dans l’occasion présente, la vivacité avec laquelle les bons moines traversaient les longs corridors pour se rendre à la chapelle, annonçait que les offices du matin allaient être célébrés avec une nouvelle ferveur.

L’heure était peu avancée lorsque tous les habitants du couvent se réunirent dans le lieu saint. Le corps de Jacques Colis avait été porté dans une des chapelles latérales où, couvert d’un voile, il attendait la messe des morts. Deux immenses flambeaux brûlaient sur les marches du grand autel, et une foule composée de personnages de tout rang et de tout âge, les entourait. Parmi les spectateurs silencieux, on voyait Balthazar, sa femme, Maso, prisonnier par le fait, mais libre de droit, le pèlerin et Pippo.

Le bon prieur, revêtu de ses habits sacerdotaux, était présent, ainsi que le reste de sa communauté. Pendant le moment qui précéda l’office, il causa avec le châtelain et le bailli, et tous les trois avaient cette dignité que prennent ordinairement les hommes qui respectent leurs fonctions en présence de leurs inférieurs. Cependant les manières de chacun des assistants avaient cette espèce d’exaltation qu’on éprouve un jour de fête, et à laquelle on ne peut résister, quoique des circonstances mal-