Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/386

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que tu m’appartiens, car tu es l’enfant de mon amour. Sois tendre et bon pour cette fleur fragile que la Providence place sous ta protection. L’amour confiant et généreux d’une femme vertueuse, Sigismond, est toujours un bienfait et souvent un appui pour les principes incertains des hommes. Oh ! si Dieu m’avait donné Angiolina lorsque son cœur, était libre, combien notre existence à tous deux eût été différente ! Ce sombre voile ne sera pas suspendu sur la plus douce des affections humaines, et ma dernière heure serait bénie. Que Dieu et les saints vous protègent, mes enfants, et qu’ils vous conservent longtemps dans votre innocence et votre affection présente.

Le vénérable doge cessa de parler. Les efforts qu’il avait faits pour maîtriser son émotion l’abandonnèrent pour le laisser pleurer en silence.

Jusque-là, Marguerite avait gardé le silence ; elle avait observé et écouté avec avidité tout ce qui s’était dit. C’était maintenant son tour. Sigismond s’agenouilla devant elle, pressa sa main de ses lèvres, de manière à prouver que son caractère noble mais sombre, avait laissé de profondes traces dans son souvenir. Dégageant sa main de l’étreinte convulsive de Sigismond, car dans ce moment ce jeune homme ressentait avec violence le chagrin de briser des liens qui avaient pour lui quelque chose de romanesque et de mystérieux, elle écarta les boucles blondes de son large front, et contempla longtemps son visage comme si elle eût voulu en étudier les traits.

— Non, dit-elle enfin en secouant tristement la tête, tu ne nous appartiens pas et Dieu a bien fait de reprendre l’innocente créature dont tu as si longtemps usurpé la place sans le savoir. Tu m’étais cher, Sigismond, bien cher, car je te croyais chargé de la même malédiction que nous, mais ne me hais pas si je dis que mon cœur est maintenant dans la tombe de…

— Ma mère ! s’écria le jeune homme d’un ton de reproche.

— Oui, je suis encore ta mère, répondit Marguerite en souriant péniblement. Tu es un noble jeune homme et aucun changement de fortune ne peut altérer ton âme. C’est une cruelle séparation, Balthazar, et je ne sais pas après tout si tu as bien fait de me tromper, car ce jeune homme m’a causé autant de chagrin que de joie ; des chagrins, un amer chagrin en pensant qu’un homme comme lui était condamné à vivre maudit par ses semblables ; mais maintenant tout est fini, il n’est plus à nous !