Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/153

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fasse des millions de milles avant d’en revenir à pincer le vent. On ne me fourrera jamais dans la tête, à moi, que ces petits brins d’étoiles puissent arrêter une commère telle que la terre dans sa course, lorsqu’elle a tant de nœuds à filer par heure dans les douze mois. Mais la plus petite embardée, — et une embardée de mille milles ne serait pas plus pour elle qu’une de cent pieds pour un vaisseau, — l’enverrait à bord du Jupiter ou du Mercure, et Dieu sait quelle jolie petite fricassée cela ferait !

— Nous sommes assez portés à admettre l’efficacité de l’attraction, Monsieur ; et d’ailleurs, avec votre système, il me semble que l’objection que vous posez subsisterait également.

— Écoutez ; je vais vous expliquer ça. Supposons une machine, dame ! comme ni vous ni moi n’en avons jamais vu, qui fournisse de la vapeur, en veux-tu ? en voilà ; puis, supposons une frégate, fine voilière, lancée dans un bon sillage, la barre du gouvernail tout à bord, et qui file sans se gêner ses dix mille nœuds à l’heure, sans amener ou sans raccourcir les voiles une seconde ; hein ! qu’arrivera-t-il ? Le premier enfant venu vous dira qu’elle continuera à tourner dans un cercle de quelque cinquante ou cent mille milles de circonférence : en bien ! suivant moi, il est bien plus national (rationnel) de supposer que c’est la manière de voyager de la terre, que de la faire ainsi tournoyer misérablement au milieu des étoiles et des attractions.

— Il y a quelque chose de plausible dans votre raisonnement, capitaine Poke, et j’espère que vous saisirez la première occasion de développer plus complètement vos idées sur ce sujet devant l’académie de Leaphigh.

— De tout mon cœur, docteur ; car, suivant moi, il en est de la science comme du bon vin ; il faut le passer à la ronde, et ne pas vouloir le garder à soi trop longtemps. Et puisque je me suis mis à dégoiser tout ce que j’ai sur le cœur, je vous dirai encore, en forme de corollaire, comme vous dites, que si tout ce que vous racontez de la chaudière qui a crevé, et du coup de pied que le pôle a reçu dans le derrière, est vrai, la terre est, ma foi, le premier bateau à vapeur qui ait été inventé, et toutes les fanfaronnades des Français, des Anglais, des Espagnols et des Italiens, à ce sujet, ne sont que de la fumée.

— Vous oubliez les Américains, capitaine Poke, me hasardai-je à lui dire.