Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/170

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Je crois que, dans ce moment, j’aurais donné de bon cœur tous mes intérêts dans la société pour être délivré de cette aventure. Cependant l’orgueil, ce remplaçant de tant de vertus, le plus grand et le plus puissant de tous les hypocrites, m’empêcha de laisser percer le désir de battre en retraite. Je délibérais pendant que le bâtiment continuait son train de poste ; et quand à la fin je me retournai vers le capitaine pour exprimer un doute, qui, émis plus tôt, aurait pu changer la face des affaires, il me répondit tout net qu’il était déjà trop tard. Il y avait moins de danger à avancer qu’à reculer, en supposant que reculer fût possible dans l’état actuel des vents et des flots. Faisant de nécessité vertu, je rassemblai tout mon courage, et je restai spectateur résigné, et en apparence tranquille, de ce qui suivit.

Le Walrus, — c’était le nom de notre bon navire, — laissait alors pendre ses voiles, et pourtant, poussé par le vent, il s’élançait avec une impétuosité effrayante vers la barrière d’écume où l’élément gelé et l’élément encore liquide se livraient une terrible lutte. Les montagnes de glace agitaient leur cime étincelante, juste assez pour montrer qu’elles étaient à flot ; et je me rappelai avoir entendu dire que parfois, à mesure que leurs glaces se fondaient, des rocs entiers s’écroulaient tout à coup, écrasant tout ce qui les environnait. À peine un moment me parut-il écoulé que le bâtiment se trouvait à l’ombre sous ces masses éblouissantes qui, dans leurs douces ondulations, balançaient leurs sommets glacés plus de mille pieds en l’air. Je regardai Noé avec consternation ; car il me semblait qu’il nous précipitait de gaieté de cœur à notre perte. Mais au moment où j’allais m’emporter en reproches, il fit un signe de la main, et le Walrus s’embarda. Néanmoins la retraite était impossible ; car le soulèvement de la mer était trop fort, l’ouragan trop impétueux pour que nous pussions nous flatter de tarder trop longtemps à aller échouer contre les pics sourcilleux que nous avions sous le vent. Le capitaine Poke ne semblait pas lui-même songer à la fuite ; car, au lieu de pincer le vent afin de s’éloigner du danger, il avait fait mettre les vergues parfaitement carrées, et nous cinglions alors dans une ligne presque parallèle à côté de la glace, quoiqu’en nous en rapprochant de plus en plus.

— Tiens le large ; cingle en pleine eau, Jim-le-Tigre, dit le vieux capitaine dont l’ardeur maritime était vivement éveillée. Le mal-