Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/300

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struite ; si vous voulez la réparer, en abattrez-vous les murs au hasard, au risque de la faire tomber sur votre tête ?

— Je commencerais d’abord par étayer ma maison, et je me hâterais ensuite d’y faire les réparations nécessaires, quoique toujours avec précaution. Dans une pareille affaire, le courage est moins à craindre que la pusillanimité. La moitié des maux de la vie, sociaux, personnels et politiques, sont les effets de la lâcheté morale aussi bien que de la fraude.

Je dis alors au brigadier que puisque ses concitoyens n’avaient pas voulu prendre la propriété pour base de leur contrat social, je présumais qu’ils l’avaient appuyé sur la vertu.

— J’ai toujours entendu dire que la vertu est ce qui doit essentiellement distinguer un peuple libre, lui dis-je, et sans doute vos concitoyens sont des modèles parfaits à cet égard.

Downright sourit avant de me répondre et regarda à droite et à gauche, comme s’il se fût régalé d’une odeur de perfection.

— On a inventé bien des théories sur ce sujet, me répondit-il enfin, et dans toutes on a plus ou moins confondu les causes et les effets ; la vertu n’est pas plus une cause de liberté, si ce n’est en ce qu’elle se rattache à l’intelligence, que le vice n’en est une d’esclavage. L’une et l’autre peuvent en être les suites, mais il n’est pas facile de dire comment l’une ou l’autre peut en être la cause. Nous avons, nous autres Monikins, un proverbe vulgaire qui vient à point en cette occasion : Mettez un fripon aux trousses d’un fripon. Or l’essence d’un gouvernement libre se trouve dans la responsabilité de ses agents. Celui qui gouverne sans responsabilité est un maître ; et celui qui remplit les devoirs de fonctionnaire public sous une responsabilité pratique est un serviteur. C’est la seule manière de bien juger des gouvernements, quoi qu’on en puisse dire sous d’autres rapports. La responsabilité envers la masse de la nation est le critérium de la liberté. Or, la responsabilité est ce qui remplace la vertu dans un politique, comme la d discipline est ce qui remplace le courage dans un soldat. Une armée de monikins pleins de bravoure, sans discipline, pourrait fort bien être battue par une armée de Monikins ayant moins d’intrépidité naturelle, mais plus de discipline. De même un corps politique, vertueux dans l’origine, mais sans responsabilité, serait plus disposé à commettre des actes illégaux d’égoïsme et de corruption, qu’un corps moins vertueux, mais tenu rigidement sous