Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/360

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proclamait. Il conclut en disant qu’il ne pourrait pas vivre plus longtemps sans viande, de quelque sorte que ce soit, et me demanda demanda d’appuyer une proposition qu’il était sur le point de présenter pour qu’on distribuât des rations un peu substantielles à toute la partie humaine de la chambre ; sa nature le portait beaucoup vers la viande de porc ; quant aux Monikins, ils pourraient vivre de noix aussi longtemps qu’ils le désireraient.

Je m’élevai contre ce projet de rations, je fis un appel à sa fierté en lui démontrant qu’on nous regarderait à peu de chose près comme des brutes, si l’on nous voyait manger de la viande, et je lui conseillai de faire rôtir ses noix pour varier. Il céda à mes instances et promit de s’abstenir encore quelque temps, bien qu’il me quittât avec un sourire singulièrement carnivore, et une envie de manger du porc qui se montrait dans chacun de ses regards.

Le jour suivant, j’étais chez moi occupé avec mon ami le brigadier à examiner la grande allégorie nationale, afin d’éviter de tomber dans de nouvelles erreurs en citant ses opinions, lorsque Noé se précipita dans la chambre aussi furieux qu’un loup qui vient d’être mordu par toute une meute. Telle était en effet à peu près sa situation, car, suivant son assurance, il avait été insulté dans les rues par chaque Monikin, Monikina, Monikino, polisson et mendiant, qu’il avait rencontré dans la matinée. Surpris de cette défaveur subite de mon collègue, je lui demandai promptementment une explication.

Le capitaine affirma qu’il était au-dessus de ses moyens de donner aucune explication. Il avait voté dans l’affaire de la route d’après les avis de sa conscience, et toute la population l’accusait de s’être laissé corrompre. Les journaux eux-mêmes se moquaient de lui, se réjouissant qu’il eût été démasqué et pris en flagrant délit. En disant ces mots, le capitaine posa devant nous six ou sept des principaux journaux de Bivouac, dans lesquels son dernier vote était traité avec aussi peu de cérémonie que s’il se fût agi du vol d’un mouton.

Je regardai mon ami le brigadier comme pour demander une explication ; après avoir parcouru les articles, il sourit, et jeta un regard de commisération sur notre collègue.

— Vous avez certainement commis une faute grave, mon ami, dit-il enfin, une faute qui est rarement pardonnée à Leaplow, et