Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/368

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rien ne les dispose si bien à accorder leur confiance à un autre que la profession qu’il fait d’être pire qu’eux-mêmes.

Le juge secoua la tête et fit la grimace.

— Un mot encore, mon cher Monsieur : vous trouvant forcé de louer les chats et les chiens de Leaplow, ne seriez-vous pas par hasard partie de cette classe de philoféles[1] qui se dédommagent de leur aménité envers les quadrupèdes en calomniant la portion de la création à laquelle ils appartiennent ?

Le juge tressaillit et regarda autour de lui comme s’il craignait d’être entendu : puis, me priant avec instance de respecter sa situation, il ajouta à voix basse que le peuple était un objet sacré pour eux, qu’il était rare que lui-même prononçât ce nom sans s’incliner, et que ses sentiments affectueux envers les chats et les chiens n’étaient pas fondés sur le mérite particulier de ces animaux, il les aimait simplement parce qu’ils étaient les chats et les chiens du peuple. Craignant d’entendre quelques observations plus désagréables encore, le juge s’empressa de me quitter. Je ne l’ai jamais revu depuis. Mais je ne doute pas que ses poils et sa fortune n’aient subi une progression rapide et qu’il n’ait trouvé le moyen d’étaler une queue d’une longueur convenable lorsque l’occasion l’exigeait.

Un groupe nombreux dans la rue attira alors mon attention. Je m’approchai, et un de mes collègues qui s’y trouvait fut assez bon pour m’en expliquer la cause.

Il paraissait que certains Leaphighers étaient venus visiter la contrée de Leaplow, et que, non contents de cette liberté, ils venaient de publier des brochures sur ce qu’ils avaient vu et même sur ce qu’ils n’avaient pas vu. Au sujet des dernières, l’opinion publique n’était pas très-émue, malgré de sévères réflexions sur la grande allégorie nationale et les droits sacrés des Monikins ; mais les premières excitaient une très-vive agitation. Ces écrivains avaient est l’audace de dire que les Leaplowers s’étaient entièrement coupé la cauda, et cet outrage inouï bouleversait la république entière. La seule mention d’un tel fait était une offense ; la proclamer dans le monde, par l’organe de la presse, une offense plus grave encore. Si les Leaplowers n’avaient pas de queue, il était évident que c’était leur faute, la nature les

  1. Amis des chats.