Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/40

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couvrir d’une rougeur qui me rappela les couleurs de l’aurore ; ses yeux pleins de douceur se fixèrent alors sur la terre, et il se passa quelque temps avant qu’elle parlât.

Le lendemain matin, comme j’arrangeais, sous une des fenêtres de la maison, quelques lignes pour pêcher, assis au milieu d’un bosquet qui me cachait, j’entendis la voix mélodieuse d’Anna, qui souhaitait le bonjour à son papa. Mon cœur battit plus vivement quand elle s’approcha de la croisée en lui demandant comment il avait passé la nuit ; les réponses furent aussi affectueuses que les questions, et il y eut ensuite quelques instants de silence.

— Qu’est-ce qu’un agioteur, mon père ? demanda tout à coup Anna, et j’entendis remuer les feuilles des arbrisseaux qui couvraient la croisée.

— Un agioteur, ma chère, est un homme qui spécule sur les fonds publics, en achetant ou en vendant, suivant qu’il y trouve son profit.

— Et cette profession a-t-elle quelque chose de déshonorant ?

— Cela dépend des circonstances. À la bourse, elle semble assez bien accueillie, mais je crois que les négociants et les banquiers ne la regardent pas d’un œil si favorable.

— Et pouvez-vous me dire pourquoi ?

— Je crois, répondit le docteur en riant, que la véritable raison est que c’est un métier incertain, qui est sujet à des revers soudains, — une sorte de jeu de hasard ; et tout ce qui rend la fortune peu sûre, est vu de mauvais œil par ceux dont le principal but est d’amasser de l’argent, — par ceux qui regardent la stabilité de la fortune des autres comme d’une importance essentielle pour eux-mêmes.

— Mais, est-ce une profession malhonnête, mon père ?

— Par le temps qui court, pas nécessairement ; mais elle peut quelquefois le devenir.

— Et est-elle généralement méprisable aux yeux du monde ?

— Cela dépend des circonstances, Anna : quand l’agioteur perd, le monde le condamne ordinairement ; mais je suis porté à croire qu’on le voit avec plus d’indulgence quand il gagne. — Mais pourquoi me faites-vous ces étranges questions, ma chère ?

Je crus entendre Anna respirer plus péniblement que de coutume, et il est certain qu’elle se pencha par la croisée pour cueillir une rose.