Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/68

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oui, je le sais, je le sens, — je vous aimerais si ardemment, que mon cœur serait fermé à tout sentiment généreux pour les autres. — Je suis chargé d’une responsabilité effrayante : une richesse immense, — de l’or, — de l’or ! je ne puis même espérer de sauver mon âme sans faire porter mon intérêt sur tous mes semblables. — S’il y avait cent Anna, je pourrais les presser toutes sur mon cœur, mais une seule !… non ! non ! — ce serait le comble de ma misère ; ce serait ma perdition. L’excès d’une telle passion ferait de mon cœur celui d’un avare, et me rendrait indigne de la confiance de mes semblables.

Les yeux d’Anna, aussi perçants qu’ils étaient doux, semblaient lire au fond de mon âme ; et quand j’eus fini de parler, elle se leva et s’approcha de moi avec la timidité d’une femme qui sent vivement. Elle plaça sa main de velours sur mon front brûlant, la pressa ensuite sur son cœur, et s’enfuit en fondant en larmes.

Nous ne nous revîmes qu’à l’heure du dîner, et nous dînâmes tête à tête. Anna avait un air plein de douceur et même d’affection ; mais elle évita avec soin toute allusion au sujet dont je lui avais parlé le matin. Quant à moi, je méditais sans cesse sur le danger de concentrer toutes ses affections sur un seul objet, et sur l’excellence du système des garanties à donner à la société.

— Votre esprit sera plus tranquille dans un jour ou deux, John, me dit Anna quand nous eûmes pris un verre de vin après la soupe ; l’air de la campagne et d’anciens amis vous rendront votre gaîté et vos couleurs.

— S’il existait mille Anna, je serais aussi heureux que personne le fut jamais ; mais je ne dois ni ne puis rétrécir le cercle de l’intérêt que je suis tenu de prendre à la société.

— Ce qui prouve que je ne puis suffire à votre bonheur. — Mais voici Francis qui apporte le journal ; voyons ce que la société fait à Londres.

Après avoir parcouru le journal pendant quelques instants, elle laissa échapper un cri de surprise et de plaisir. Je levai les yeux sur elle, et je vis que les siens étaient fixés sur moi avec ce que je me plus à croire une expression de tendresse.

— Ne me lisez-vous pas ce qui paraît vous causer tant de plaisir ?

Elle fut d’une voix empressée et tremblante ce qui suit :

— « Il a plu à Sa Majesté d’élever à la dignité de baronnet du