Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/70

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riait, c’était avec une joie retenue et modérée ; si elle pleurait, c’était une pluie tombant du ciel qui brillait encore de l’éclat du soleil. Ce n’était que dans les occasions où le sentiment et la nature l’emportaient, que quelque impulsion irrésistible de son sexe lui causait une émotion semblable à celle dont j’avais été deux fois témoin la veille.

— Vous allez nous quitter, John, me dit-elle en me tendant la main, sans affecter une indifférence qu’elle n’éprouvait pas : vous verrez bien des visages étrangers ; mais vous ne trouverez personne qui…

J’attendais la fin de sa phrase ; mais, quoiqu’elle fît un violent effort pour conserver son sang-froid, elle ne put l’achever.

— À mon âge, Anna, et avec la fortune que je possède, il me siérait mal de me renfermer dans mon pays, quand, si je puis m’exprimer ainsi, la nature humaine a pris son essor. — Je pars pour donner du champ à ma sensibilité, pour ouvrir mon cœur à mes semblables, et pour éviter les regrets qui ont tourmenté mon père sur son lit de mort.

— Fort bien, fort bien, répondit-elle les yeux humides ; n’en parlons plus, je crois qu’il convient que vous voyagiez. — Adieu ! partez avec mille millions de souhaits pour votre bonheur et pour votre retour dans votre patrie. Vous reviendrez à nous, John, quand d’autres scènes vous auront fatigué.

Elle m’adressa ces paroles du ton de la plus douce sensibilité, et avec un air de sincérité si attrayant, que ma philosophie fut sur le point de faire naufrage. Mais je ne pouvais épouser tout son sexe ; et enchaîner mon affection à une seule femme, c’eût été donner le coup de mort aux principes sublimes qui m’animaient, et qui, comme je l’avais décidé, devaient me rendre digne de ma fortune, et faire de moi un ornement de la race humaine. Cependant, quand on m’aurait offert un royaume, il m’eût été impossible de parler. Je la serrai dans mes bras sans qu’elle songeât à faire aucune résistance ; je la pressai contre mon cœur, et pris un baiser brûlant sur sa joue ; et je m’arrachai d’auprès d’elle.

— Nous nous reverrons, John, me dit-elle d’une voix faible, en retirant doucement sa main d’entre les miennes.

— Oh, Anna ! combien il m’était pénible de renoncer à une confiance si franche et si douce, d’abandonner ta beauté radieuse, ta