Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/76

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lecteur du récit de mes voyages sur les chemins battus du continent, mais je le transporterai tout d’un coup avec moi à Paris, où j’arrivai anno Domini 1819, le 17 mai. J’avais vu bien des choses ; je m’imaginais avoir acquis beaucoup d’expérience, et à force de rêver constamment à mon système, j’en voyais l’excellence aussi clairement que Napoléon voyait la célèbre étoile que l’œil moins perçant du cardinal son oncle ne pouvait apercevoir. En même temps, comme cela arrive ordinairement à ceux qui dirigent toute leur énergie vers un point donné, les opinions que je m’étais faites dans l’origine sur certaines parties de ma théorie, commencèrent à subir quelques modifications, à mesure que je voyais les choses de plus près et sous un aspect plus pratique, et que je remarquais des contradictions et des défauts. Relativement à Anna surtout, l’image douce et tranquille, mais distincte, d’une femme charmante, image qui était rarement absente de mon esprit, m’avait depuis un an constamment poussé un argument qui aurait pu déranger même le système de philosophie de Newton. Je faisais plus que douter si le bonheur que je goûterais près d’une femme si affectueuse et si franche ne serait pas une indemnité complète du désavantage d’une concentration d’intérêt en ce qui concernait le beau sexe. Cette opinion menaçait de devenir une conviction, quand je rencontrai un jour sur les boulevards un vieux voisin du docteur Etherington. Il me rendit le meilleur compte possible de toute la famille, et après m’avoir longtemps parlé de la beauté et des vertus d’Anna, il ajouta que cette chère fille avait tout récemment refusé d’épouser un pair du royaume, qui jouissait de tous les avantages reconnus de la jeunesse, de la fortune, de la naissance, du rang et d’une bonne réputation, et qui avait fixé les yeux sur elle parce qu’il était convaincu de son mérite, et qu’il la regardait comme devant faire le bonheur d’un homme sensé. Je n’avais jamais douté du pouvoir que j’avais sur le cœur d’Anna ; elle me l’avait prouvé en cent occasions et de mille manières ; et je ne lui avais pas caché combien elle m’était chère, quoique je n’eusse jamais pu m’armer d’assez de résolution pour lui demander sa main. Mais tous mes projets ébauchés se concentrèrent sur un seul point en apprenant cette heureuse nouvelle ; et prenant brusquement congé de mon ancienne connaissance, je rentrai chez moi à la hâte, et j’écrivis la lettre suivante :