Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/113

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un grand effet ; il faut que vous sachiez que nous avions autrefois beaucoup de petits bâtiments qui faisaient un trafic entre la Rivière et les îles des…

— La rivière ! interrompit M. Sharp.

— Certainement, je veux dire le Connecticut ; tout le monde l’appelle ainsi dans notre pays. Ces bâtiments faisaient donc entre la Rivière et les îles des Indes occidentales un commerce de chevaux, de bestiaux, et d’autres babioles de cette espèce. Il y avait entre autres le vieux Joé Bunk, qui avait fait ce commerce sur un brick de haut bord pendant environ vingt-trois ans, lui et son brick ayant vieilli ensemble comme un mari et sa femme. Il y a environ quarante ans, nos dames de la Rivière commencèrent à se lasser de leur thé bou, et comme on parlait beaucoup alors en faveur du souchong, il y eut à ce sujet beaucoup d’agitation, comme dit M. Dodge ; et l’on résolut de faire l’épreuve de la nouvelle qualité de thé avant de se lancer tout à fait dans ce commerce. Eh bien ! d’après ces prémisses, comme dit Vattel, que supposez-vous qu’on ait fait, miss Effingham ?

Les yeux d’Ève étaient encore tout occupés du grand spectacle du ciel et de l’océan, mais elle répondit civilement : — Je suppose qu’on en fit acheter un échantillon dans quelque boutique.

— Pas du tout ! les dames étaient trop fines pour cela ; car un fripon d’épicier aurait pu les tromper. L’agitation continuant, elles formèrent une société de thé ; la femme du ministre en était présidente et sa fille aînée secrétaire. Enfin la même fièvre gagna les hommes, et l’on forma le projet d’envoyer un bâtiment à la Chine pour en rapporter un échantillon du nouveau thé.

— À la Chine ! s’écria Ève, regardant pour cette fois le capitaine en face.

— Oui, miss Effingham, à la Chine. Vous savez qu’elle est quelque part de l’autre côté du monde. Maintenant qui croyez-vous qu’on ait choisi pour cette mission ? Ce fut le vieux Joé Bunk. Il avait fait si souvent le voyage pour aller aux îles et en revenir, sans avoir aucune connaissance de la navigation, qu’on pensa qu’il n’y avait pas à craindre de le perdre.

— J’aurais cru qu’il était précisément l’homme qui devait se perdre en chemin, dit M. Effingham pendant que M. Truck préparait un nouveau cigare ; car il fumait toujours, n’importe en quelle compagnie il se trouvât, quand il était sur le pont, quoiqu’il ne manquât jamais de dire qu’il était prêt à cesser de fumer, si l’odeur du tabac était désagréable à quelqu’un.