Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/117

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— Mais je ne crois pas que des vapeurs circulant dans les airs puissent former une conspiration, dit Ève en riant, quoique ce puisse être une catégorie.

— Vous avez peut-être raison. — Qui le sait cependant ? Les chiens, les chevaux, les autres animaux s’entendent l’un l’autre ; n’est-il pas aussi aisé de supposer qu’il en est de même des choses inanimées ? Nous n’y connaissons rien, et par conséquent le mieux est de ne rien dire. Si les hommes ne parlaient que de ce qu’ils connaissent, on pourrait retrancher la moitié des mots contenus dans les dictionnaires. — Mais, comme je le remarquais, vous voyez que ces nuages se rassemblent, et se préparent à partir, parce qu’ils ne peuvent rester beaucoup plus longtemps ou ils sont.

— Et pourquoi seront-ils forcés à disparaître ?

— Faites-moi le plaisir de tourner vos yeux de ce côté-là, au nord-ouest. N’y voyez-vous pas une ouverture qui a l’air d’un lion accroupi ?

— Je vois certainement une bande de lumière, ou pour mieux dire une ligne étroite de l’azur du firmament, à l’endroit où la mer semble toucher le ciel, et il n’y a qu’un moment qu’elle vient de paraître. Est-ce un signe que le vent soufflera de ce côté ?

— Tout aussi bien que lorsque vous ouvrez votre fenêtre c’est un signe certain que vous avez dessein d’y passer la tête.

— Ce qu’une jeune personne bien élevée fait rarement, dit mademoiselle Viefville, et surtout dans une ville.

— Vraiment ? Eh bien ! dans notre ville sur la Rivière, nos femmes passent leur tête à leurs fenêtres la moitié du temps. Mais je ne prétends pas, Mamselle, être juge des convenances à cet égard ; je vous dirai seulement que je connais assez bien les vents pour savoir ce qu’ils veulent faire quand ils ouvrent leurs volets. Cette ouverture au nord-ouest est un signe certain qu’il sortira quelque chose de la fenêtre bien élevé ou non.

— Mais, dit Ève, les nuages qui couvrent notre tête et ceux qui sont plus loin au sud semblent marcher vers cette ouverture, au lieu d’en venir.

— Cela est tout naturel, miss Effingham, parfaitement naturel. Quand un homme a bien résolu de s’enfuir, c’est alors qu’il fait le fanfaron ; mais pour un pas qu’il fait en avant, on peut en attendre deux en arrière. Vous voyez souvent le pétrel s’approcher d’un bâtiment, comme s’il voulait venir à l’abordage, mais il a soin de mettre la barre dessous avant d’arriver dans les agrès. Il en est de même des nuages et de toute autre chose dans la nature. Vattel dit que vous