Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/12

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— Vous seriez plus aisément d’accord avec des jurés pour une déclaration de meurtre, dit le cousin.

M. Effingham conduisit sa fille dans le rouffle[1], ou, comme les marins l’appellent, le carrosse ; ils y restèrent environ une demi-heure, occupés à regarder tout ce qui se passait sur le gaillard d’arrière. Nous profiterons de cet intervalle pour faire ressortir les jours les plus prononcés de notre tableau, laissant les teintes plus douces et les ombres se découvrir successivement par la manière dont l’artiste racontera son histoire.

Édouard et John Effingham étaient fils de deux frères ; ils étaient nés le même jour, et ils avaient passionnément aimé la même femme. Elle avait accordé la préférence à Édouard, et elle était morte peu de temps après la naissance d’Ève. Malgré cette rivalité, les deux cousins étaient restés sincères amis, et la mort de celle qu’ils avaient aimée tous deux y avait peut-être contribué, en leur faisant éprouver les mêmes regrets. Ils avaient longtemps vécu ensemble en Amérique, longtemps ils avaient voyagé ensemble, et maintenant ils allaient retourner de compagnie dans leur pays natal, après ce qu’on pouvait appeler une absence de douze ans, quoique tous deux fussent retournés en Amérique plusieurs fois pour de courts intervalles pendant cet espace de temps. — John n’y avait pas été moins de cinq fois.

Il y avait entre les deux cousins une forte ressemblance de famille. Leurs proportions, et même leurs traits, étaient presque les mêmes, quoiqu’il fût presque impossible que deux hommes fissent une impression plus différente sur ceux qui les voyaient par hasard et séparément. Tous deux étaient grands et bien faits, et avaient un air imposant ; mais tandis que l’un gagnait à se montrer, l’autre, s’il n’était pas positivement repoussant, avait quelque chose qui ne prévenait nullement en sa faveur, et même qui éloignait de lui. Le noble contour de la physionomie d’Édouard devenait d’une sévérité glaciale dans celle de John ; le nez aquilin de celui-ci semblait avoir une courbure hostile, comme le bec d’un aigle ; ses lèvres serrées avaient une expression de froideur et de sarcasme ; et son beau menton classique, — trait qui manque à tant d’individus de la race saxonne, — avait un air de hauteur dédaigneuse, qui portait ordinairement les étrangers à l’éviter. Ève dessinait avec beaucoup de facilité et de vérité, et, comme son oncle l’avait dit avec raison, avait un œil « plein de teintes. » Elle avait bien des fois esquissé le

  1. Le rouffle, ou rouf, est une chambre construite sur le pont, vers l’arrière du mât d’artimon.