Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/148

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mière entre ses bras, et qui vous a toujours portée dans son cœur. Mamerzelle peut dormir par une pareille nuit, et je suis sûre qu’elle ne le pourrait pas, si elle prenait à vous autant d’intérêt que moi.

Ève savait que le faible de Nanny était la jalousie que lui inspirait mademoiselle Viefville. Tirant la bonne femme à elle, elle lui passa ses bras autour du cou, et dit qu’elle se sentait besoin de dormir. Accoutumée à veiller ; et réellement hors d’état de dormir par suite de ses craintes, Nanny passa une heure de bonheur véritable, la tête de sa chère enfant appuyée sur sa poitrine. Enfin, quand elle la vit bien endormie, elle descendit dans sa petite chambre, se jeta sur son lit sans se déshabiller, et passa quelques heures dans un sommeil souvent interrompu par ses inquiétudes.

Un grand cri poussé sur le pont éveilla dans leurs chambres, le lendemain matin, tous ceux des passagers qui dormaient. Ce fut un moment d’agitation générale. Tout le monde monta à la hâte sur le pont : Ève et sa gouvernante y arrivèrent les dernières, et cependant dix minutes ne s’étaient pas écoulées quand elles entrèrent dans le rouffle. On fit peu de questions ; chacun était accouru par suite de l’inquiétude causée par l’ouragan, et avec la crainte de quelque nouveau danger positif et prochain.

Ils ne virent pourtant rien d’abord qui parût justifier l’appréhension générale. L’ouragan continuait, sans avoir rien perdu de sa violence ; l’Océan roulait ses vagues comme autant de cataractes, avec lesquelles le Montauk semblait lutter de vitesse sous sa misaine dont tous les ris étaient pris. C’était la seule qui fût établie ; et cependant le bâtiment volait à travers les lames furieuses, ou plutôt de compagnie avec elles, à raison de dix milles par heure, ou peu s’en fallait. Le capitaine Truck était dans les haubans de misaine, la tête nue, les mèches de ses cheveux poussées en avant par le vent et flottant comme un guidon. De temps en temps, il faisait un signe à l’homme qui était à la roue, pour lui indiquer comment il devait mettre la barre ; car au lieu de passer la nuit à dormir, comme bien des gens l’avaient supposé, il avait gouverné le bâtiment depuis plusieurs heures dans la situation où il était alors. Lorsque Ève arriva, il dirigeait l’attention de quelques passagers vers un objet qui était en arrière ; mais peu d’instants suffirent pour que tous ceux qui étaient sur le pont vissent de quoi il s’agissait.

À la distance d’environ une encâblure, et par une des hanches du Montauk, était un bâtiment courant de même vent arrière ; mais il portait plus de voiles, et par conséquent il allait plus vite. L’apparition soudaine de ce bâtiment dans le crépuscule du matin, quand il