Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/152

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la tempête, ou plutôt où il en éprouva les effets les plus fâcheux. Le danger de sa situation et sa responsabilité commencèrent alors à donner de sérieuses inquiétudes au capitaine Truck, mais, en officier prudent, il les renferma dans son sein. Il repassa tous ses calculs avec le plus grand soin ; fit l’estime de sa marche avec attention, et le résultat lui prouva que dix à quinze heures de plus amèneraient une autre cause de naufrage ; à moins que le vent ne se modérât.

Heureusement l’ouragan perdit quelque chose de sa violence vers minuit. Le vent était encore très-fort, mais il était moins constant, et il y avait des intervalles d’une demi-heure pendant lesquels le bâtiment aurait pu porter beaucoup plus de voiles, même en boulinant. Sa vitesse diminua naturellement dans la même proportion ; et quand le jour parut, un examen attentif qu’on fit du haut du grand mât, apprit qu’on ne voyait pas la terre à l’est. Dès qu’il se fut parfaitement assuré de ce fait important, le capitaine Truck se frotta les mains de satisfaction, ordonna qu’on lui apportât de quoi allumer son cigare, et se mit à gourmander Saunders en lui reprochant de ne lui avoir servi que de mauvais café depuis le commencement de l’ouragan.

— Ayez soin que j’en aie ce matin qui soit buvable, Monsieur, ajouta-t-il ; et souvenez-vous que nous sommes ici dans le voisinage du pays de vos ancêtres, où vous devez raisonnablement vous piquer de vous bien comporter. Si vous me servez encore de l’eau rousse en guise de café, je vous ferai mettre à terre, et je vous y laisserai un été ou deux courir tout nu avec les singes et les orangs-outangs.

— Je cherche en toute occasion à vous satisfaire en tout, capitaine, ainsi que tous ceux avec qui j’ai le bonheur de faire voile ; mais le café ne peut être bon par un pareil temps. Je suppose que c’est le vent qui lui enlève son parfum, car je suis prêt à avouer qu’il ne m’a pas semblé aussi hardromatissé que de coutume. Quant à l’Afrique, capitaine, je me flatte que vous m’estimez assez pour croire que je ne suis pas fait pour socier avec les hommes ignorants et sans éducation qui habitent ce pays sauvage. Je ne me rappelle pas si mes ancêtres sont venus de cette partie du monde ou non ; mais quand cela serait, j’espère que mes habitudes et ma profession me mettent au-dessus de ces gens-à. Je ne suis qu’un pauvre maître d’hôtel, capitaine, mais il vous plaira de vous rappeler que votre grand M. Vattel n’était qu’un cuisinier.

— Au diable le drôle, Leach ! Je crois que c’est cette idée qui a gâté mon café depuis un jour ou deux. Croyez-vous réellement possible qu’un si grand écrivain n’ait été qu’un cuisinier ; ou cet An-