Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/156

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qu’on eût eu le temps de prendre aucune précaution, tout le reste avait parti de même, et le grand mât s’était brisé à un endroit où il y avait au centre un défaut qu’on voyait alors. Sa chute avait rompu le mât de misaine au ton et entraîné le petit mât de hune. En un mot, de toute la mâture et de toute la voilure du Montauk, il ne lui restait plus que le mât de misaine mutilé, sa vergue et sa voile ; tout le reste encombrait le pont, ou battait dans l’eau contre les flancs du paquebot.

Tous les traits du visage rubicond du capitaine Truck exprimèrent un instant la mortification et le dépit, au premier coup d’œil qu’il jeta sur les ruines que nous venons de décrire. Il parut alors avoir pris son parti sur cette calamité, et il ordonna à Toast de lui apporter du charbon pour allumer un cigare.

— Nous voici dans une catégorie, de par le diable, Leach, dit-il après avoir lâché une seule bouffée de fumée. Continuez, Monsieur, vous avez raison : coupez tout ce qui tient encore à quelque chose, et jetez tous ces débris à la mer, sans quoi ils défonceront le bâtiment. — J’ai toujours pensé que le marchand de Londres entre les mains duquel notre argent est tombé était un fripon ; et à présent j’en suis assez sûr pour en jurer. — Coupez, charpentier, coupez, et débarrassez-nous le plus tôt possible de tous ces bois qui sont à danser sur le pont. — Un excellent bâtiment, monsieur Lundi ! sans quoi il aurait fait sortir ces pompes de leurs emplantures et renversé la cuisine.

On ne fit aucune tentative pour sauver ces débris ; en cinq minutes, ils flottaient loin de l’arrière, et le bâtiment fut heureusement tiré de ce nouveau danger. M. Truck, malgré le sang-froid qu’il avait acquis, ne put s’empêcher de jeter un regard douloureux sur les tristes débris de ce qui faisait sa fierté quelques minutes auparavant, en voyant les mâts, les vergues, les traversins et les élongis des hunes s’élever sur le sommet des vagues ou tomber dans le creux des lames, comme des baleines bondissant dans la mer. Mais l’habitude est la philosophie du marin, et il ne se trouvait pas dans le caractère de M. Truck un trait plus respectable que cette force d’âme qui le mettait en état de supporter noblement une calamité qui avait été inévitable.

Le Montauk ressemblait alors à un arbre dépouillé de ses branches, et sa gloire était en grande partie éclipsée : son mât de misaine lui restait seul ; encore avait-il perdu sa partie supérieure, circonstance dont le capitaine Truck se plaignait plus que de tout le reste, parce que, disait-il, « elle détruisait la symétrie de ce mât, qui avait