Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/177

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car mon ouvrage contiendra des observations philosophiques et générales plutôt que des anecdotes privées. — Saunders, allez me chercher un journal manuscrit que vous trouverez sur la table de notre chambre, à côté de la boîte à cure-dents de sir George. — Voici mon ouvrage, Messieurs et Mesdames, mais je vous prie de faire attention que c’est le résultat de mes premières impressions et non de mes réflexions mûries par le temps.

— Prenez un verre de punch, Monsieur, dit le capitaine, affectant de donner à tous ses traits l’air de la plus profonde attention. Il n’y a rien de tel que le punch pour éclaircir la voix. L’acide du citron dissipe l’enrouement, le sucre adoucit le son de la voix, l’eau rend la langue plus agile, et le rhum fortifie les muscles. Avec force punch, un homme serait bientôt un autre… j’oublie le nom de ce grand orateur de l’antiquité. — Ce n’était pas Vattel, quoi qu’il en soit.

— Vous voulez dire Démosthène, Monsieur, et je vous prie de remarquer que cet orateur était un républicain. Mais il ne peut y avoir aucun doute que la liberté ne soit favorable au développement des plus hautes qualités. — Voulez-vous quelques observations sur Paine, Mesdames ? ou commencerai-je par quelques extraits sur le Rhin ? — Oh ! de grâce, Monsieur, ayez la bonté de ne pas oublier Paris ! s’écria mademoiselle Viefville.

M. Dodge la salua d’un air gracieux, et ayant feuilleté quelques pages de son journal, il se trouva au cœur de cette grande cité. Après avoir toussé, il commença à lire d’un ton grave et didactique, qui prouvait assez le prix qu’il attachait à ses observations.

Déjouné à dix, suivant l’usage, heure que je trouve excessivement ridicule et inconvenante, et qui serait universellement désapprouvée en Amérique. Je ne suis pas surpris qu’un peuple devienne immoral et dépravé dans ses habitudes, quand il adopte des heures si déraisonnables. L’esprit acquiert un penchant au désordre, et toute sensibilité s’émousse quand on prend ses repas à des heures contre nature. J’attribue une grande partie de la corruption qui règne en France aux heures de la journée auxquelles on y prend sa nourriture…

— Voilà une drôle d’idée ! s’écria mademoiselle Viefville.

— Auxquelles on y prend sa nourriture, répéta M. Dodge, qui ne vit dans cette exclamation involontaire qu’une approbation de la justesse de sa remarque. Dans le fait, l’usage de boire du vin à ce repas, et l’immoralité d’une pareille heure, doivent être les principales causes qui font que les dames françaises ont coutume de boire avec excès.