Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/190

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côte. Si quelque chose allait mal, hissez un pavillon au haut du mât de fortune de l’avant.

M. Leach fit un signe de la main, et pas un mot de plus ne fut prononcé. La plupart de ceux qui venaient de partir éprouvèrent une sensation étrange en se trouvant dans leur nouvelle situation. Ève et mademoiselle Viefville surtout pouvaient à peine en croire leurs sens, quand elles virent leur coquille de noix monter et descendre avec ces longues vagues indolentes qui semblaient si peu de chose à bord du bâtiment, et qui maintenant avaient l’air d’être soulevées par le souffle du Léviathan. Le cutter et le canot, quoique glissant toujours en avant, par l’impulsion des rames, leur paraissaient, en certains moments, repoussés en arrière, ou précipités en avant, suivant le caprice du puissant Océan ; et il se passa quelques minutes avant qu’elles trouvassent assez de sécurité pour pouvoir jouir de leur situation présente. À mesure qu’elles s’éloignaient du Montauk, cette situation leur paraissait plus critique, et malgré tout son enthousiasme, Ève, avant qu’on eût fait un mille, se repentait de tout son cœur d’avoir tenté cette entreprise. Mais leurs compagnons étaient pleins d’ardeur, et comme les deux embarcations étaient à peu de distance l’une de l’autre, le capitaine Truck leur donnait des distractions en sel livrant à la franche gaieté d’un marin ; M. Effingham, qu’un motif d’humanité avait porté à prendre part à cette expédition, en faisait autant en y intéressant leur sensibilité ; et Ève ne tarda pas à s’occuper d’autres idées.

Lorsqu’ils approchèrent du but de leur excursion, tous les cœurs s’ouvrirent à de nouveaux sentiments. La grandeur sombre et solitaire de la côte, sa stérilité sublime, — car des sables stériles peuvent devenir sublimes par leur vaste étendue, — les sourds mugissements de l’océan sur le rivage, en un mot, tout le spectacle d’un désert qui rappelait les idées de l’Afrique des temps passés, et des changements survenus dans l’histoire de ce pays, se réunissaient pour produire des sensations pleines d’une douce mélancolie. La vue du bâtiment échoué et abandonné sur les sables, et qui offrait aux yeux les images de la civilisation européenne, ajoutait encore à l’effet général du tableau.

Ce bâtiment, sans aucun doute, avait été poussé par un coup de mer pendant l’ouragan, jusqu’à un endroit où l’eau était assez profonde pour le tenir à flot, à quelques toises de la place où on le voyait échoué, et le capitaine Truck expliqua cet accident d’une manière assez plausible :

— Sur toutes les côtes sablonneuses, dit-il, les vagues qui sont