Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le capitaine Truck et ses compagnons s’étaient déjà assurés qu’il ne restait personne sur ce malheureux bâtiment. Les coffres, les malles et les porte-manteaux qui se trouvaient dans la chambre avaient été brisés et pillés ; des caisses prises dans la cale avaient été montées sur le pont, mises en pièces, et une partie de ce qu’elles avaient contenu y était encore éparse. Ce bâtiment paraissait avoir été légèrement chargé, et l’on n’avait pas touché à la plus grande partie de sa cargaison, qui consistait en sel. On trouva un pavillon danois attaché aux drisses, ce qui prouva que les conjectures du capitaine Truck sur ce bâtiment étaient bien fondées. On découvrit aussi qu’il se nommait le Voiturier — ou du moins c’était la traduction de son nom en danois, — et qu’il était de Copenhague. On ne put en apprendre davantage, car on ne trouva aucun papier, et sa cargaison, ou du moins ce qui en restait, était d’une nature si hétérodoxe, comme dit Saunders, qu’on ne pouvait conjecturer dans quel port elle avait été prise, si toutefois elle avait été prise en totalité dans le même port. Il était évident que plusieurs des petites voiles avaient été emportées, mais toutes les grandes avaient été laissées sur les vergues qui restaient à leurs places. Ce bâtiment était grand et solidement construit ; il était prouvé par le fait qu’il n’avait pas été crevé dans son fond en touchant sur les sables, et il paraissait dans le meilleur état possible. Il ne manquait pour le lancer à la mer que les machines et les bras nécessaires ; et avec un équipage pour faire la manœuvre, il aurait pu continuer son voyage comme s’il ne lui fût arrivé rien d’extraordinaire. Mais c’était ce qu’on ne pouvait espérer, et ce fruit admirable de l’industrie humaine, comme un homme retranché du nombre des vivants à la fleur de l’âge et dans toute sa vigueur, devait tomber en poussière sur cette plage inhospitalière, à moins qu’il ne plût aux tribus errantes du désert de le dépecer pour en prendre le bois et le fer.

Nul objet n’était plus propre à éveiller des idées mélancoliques dans l’esprit d’un homme comme le capitaine Truck, qu’un spectacle de cette nature. Un beau bâtiment, parfait dans presque toutes ses parties, n’ayant souffert aucune avarie, et qui pourtant n’avait plus la moindre chance de pouvoir être utile, offrait à ses yeux l’image de la perte la plus cruelle. Il songeait beaucoup moins à l’argent qu’il avait fallu dépenser pour le construire, qu’à l’anéantissement de toutes les bonnes qualités qu’il devait à son excellente construction. Il en examina la cale qu’il déclara excellente pour arrimer une cargaison ; il admira le clouage et le chevillage de toutes les parties ; il employa son couteau pour juger de la qualité du bois, et il pro-