Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/202

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en zèbre. La meilleure qualité de ce drôle ne vaut pas la plus mauvaise d’un loup.

— Il en a du moins la rapacité, dit M. Effingham.

— Et il peut hurler quand il est en troupe, je vous l’accorde. Du reste, je pense comme Ève. Il faut que nous le punissions positivement en lui tirant les oreilles, ou que nous le traitions avec ce mépris qui s’exprime par le silence. Je voudrais qu’il eût été fureter dans la chambre de ce brave jeune homme Paul Blunt, qui est d’âge et de caractère a lui donner une leçon qui pourrait fournir un article pour son Furet Actif.

Ève savait qu’il y avait été aussi, mais elle était trop prudente pour le dire.

— Cela ne fera que l’obliger davantage, dit Ève en riant ; car M. Blunt nous a dit que l’éditeur du Furet Actif croit sérieusement que le monde et tout ce qu’il contient n’ont été créés que pour fournir des matériaux pour des articles de journaux.

Cette remarque fit rire les deux cousins, et M. Effingham dit qu’il semblait exister des hommes assez complètement égoïstes, assez exclusivement dévoués à leur intérêt personnel, et assez aveugles sur les droits et les sentiments des autres, pour manifester le désir de rendre le pouvoir de la presse supérieur à tous les autres. — Non pas, ajouta-t-il, pour la faire servir à propager des principes sages et des arguments raisonnables, mais pour l’ériger en maître grossier, corrompu, vil et tyrannique ; pour en faire un instrument d’égoïsme au lieu de justice, et pour l’employer à satisfaire les passions quand on n’en fait pas un véhicule d’intérêt personnel.

— Votre père se convertira à mes opinions, Ève, reprit John ; il n’aura pas été un an en Amérique qu’il aura découvert que le gouvernement est une pressocratie, et ses ministres des usurpateurs de leur propre choix, et ayant le moins à risquer, même quant à la réputation.

M. Effingham secoua la tête avec un air de dissentiment, et la conversation cessa par suite du mouvement qu’on entendait sur le pont. La brise de terre avait fraîchi, et même les lourdes voiles sur lesquelles le Montauk était principalement obligé de compter s’étaient endormies, comme disent les marins, ou s’étaient écartées du mât, et restaient enflées et immobiles, preuve certaine en mer, ou l’eau est toujours en mouvement, que la brise va fraichir. Grâce à leur secours, le bâtiment avait surmonté l’action réunie des lames du fond et du courant, et il s’éloignait peu à peu de la terre, quand le vent murmura un instant comme s’il allait fraîchir encore davantage,