Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/217

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— Commandant !

— Priez-vous jamais ?

— Je le faisais autrefois, commandant ; mais depuis que je suis sous vos ordres, j’ai appris à faire d’abord mon ouvrage et à prier ensuite ; et quand une difficulté a été surmontée par le travail, la prière m’a souvent paru une œuvre de surérogation.

— Vous devriez rendre vos actions de grâces, Leach. Je crois que votre grand-père était ministre ?

— Oui, Monsieur, et l’on m’a dit que votre père suivait la même profession.

— On vous a dit la vérité, monsieur Leach. Mon père était un chrétien aussi pieux et aussi humble qu’on en vit jamais dans une chaire. C’était un pauvre homme, et, s’il faut dire la vérité, un pauvre prédicateur, quoique plein de zèle et de dévotion. Je m’enfuis de chez lui à l’âge de douze ans, et, depuis ce temps, je n’ai jamais passé huit jours de suite à la maison paternelle. Il pouvait faire peu de chose pour moi, car il avait reçu peu d’éducation et n’avait pas d’argent ; je crois qu’il n’était riche que de foi. Mais c’était un brave homme, Leach, quoiqu’il y eût peu d’instruction à recevoir de lui. Quant à ma mère, si jamais il exista sur la terre un esprit de pureté, il se trouvait en elle.

— Oui, oui, commandant ; c’est ce que sont ordinairement toutes les mères.

— Elle m’avait appris à prier, dit le capitaine, dont la langue semblait s’épaissir. — Mais depuis que je suis dans ma profession, je trouve peu de temps pour m’occuper d’autre chose que des devoirs qu’elle m’impose, et, pour dire la vérité, prier est devenu pour moi, faute de pratique, une des manœuvres les plus difficiles.

— C’est, suivant moi, ce qui nous arrive à tous, commandant. Je crois que tous ces bâtiments, qui vont d’Amérique à Londres et à Liverpool, auront à répondre de bien des âmes.

— Oui, oui, si l’on pouvait les mettre sur leur conscience, cela serait assez juste ; mais mon brave vieux père soutenait toujours que chacun devait boucher la voie d’eau causée par ses péchés, quoiqu’il dît aussi que nous étions destinés à voguer à babord ou à tribord, même avant d’avoir été lancés en mer.

— Cette doctrine fait de la vie une navigation facile ; et, dans le fait, je ne vois pas la nécessité de combattre le vent et la marée pour s’écarter de toute immoralité, quand on sait qu’on est destiné à y tomber après toutes ses peines.

— J’ai fait tous les calculs possibles pour m’expliquer cette affaire,