Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/225

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tomime fut si peu intelligible, que le capitaine lui-même s’y méprit.

— De par le diable ! Leach, s’écriait-il, cet homme s’imagine à présent qu’il n’est pas même bon à manger, tant vous faites des contorsions absurdes et ridicules. Un signe est un mât de fortune pour remplacer la langue, et tout marin devrait savoir s’en servir dans le cas où il ferait naufrage sur une côte sauvage et inconnue. Le vieux Joé Bunk en avait un dictionnaire, et, dans les temps de calme, il allait au milieu de ses chevaux et de ses bêtes à cornes, et s’entretenait avec eux des heures entières. Il avait fait un diagramme de ce langage, et il nous l’apprenait à nous autres jeunes gens qui étions exposés aux accidents de la mer. Je vais essayer de m’en souvenir, car je ne pourrai jamais m’endormir en songeant que cet honnête noiraud s’imagine que nous avons dessein de faire de lui notre déjeuner.

Il commença alors à faire ses explications dans la langue générale de la nature. Comme M. Leach, il décrivit d’abord toute l’opération de faire cuire et de manger le prisonnier, car il admettait que cela était indispensable par forme de préface ; et, pour peindre l’horreur que lui inspirait une telle barbarie, il imita ensuite les effets qu’il avait vus si souvent produits sur ses passagers par le mal de mer, croyant bien exprimer ainsi son dégoût pour le cannibalisme et faire entendre combien il était éloigné de vouloir manger son prisonnier. Cependant l’Arabe avait sérieusement pris l’alarme, et il l’exprima en sa propre langue par des plaintes et des gémissements auxquels on ne pouvait se méprendre. M. Truck fut très-mortifié de ne pas avoir mieux réussi ; et, comme tous ceux à qui il en arrive autant, il était disposé à en accuser tout autre plutôt que lui-même.

— Je commence à croire, monsieur Leach ; dit-il, que ce drôle est trop stupide pour être un chef ou un espion, et que c’est tout simplement un sot qui s’est écarté de sa tribu, et qui n’a pu la rejoindre parce qu’il n’a pas eu assez de bon sens pour reconnaître sa route dans un désert. L’homme le plus borné aurait dû me comprendre, et pourtant vous voyez à ses cris et à ses lamentations qu’il n’entend pas plus ce que je lui dis que s’il était sous un autre parallèle de latitude. Le drôle s’est tout à fait mépris sur mon caractère : si je voulais réellement devenir une bête de proie et dévorer mes semblables, quiconque aurait la moindre connaissance de la nature humaine s’imaginerait-il que je voudrais commencer par un nègre ? Que pensez-vous de sa méprise, monsieur Leach ?

— Il est clair, commandant, qu’il suppose que vous avez dessein de le faire rôtir, et de manger ensuite une telle quantité de sa chair,