Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeunes gens ayant vécu dans le beau monde, et leur extérieur les aurait fait remarquer partout. Celui à qui le capitaine donnait le nom de M. Sharp avait l’air le plus jeune, et il avait le teint fleuri et les cheveux blonds ; mais l’autre lui était de beaucoup supérieur par le contour de ses traits et par leur expression. Mademoiselle Viefville crut n’avoir jamais vu un sourire plus doux que celui qui parut sur ses lèvres quand il salua à son tour ; elle y remarqua même autre chose que le jeu naturel des traits et une expression ordinaire de douceur ; il y avait dans sa physionomie quelque chose de pensif et presque de mélancolique qui la frappa. Son compagnon ne manquait pas de grâces, son ton était parfait, mais ses manières avaient moins d’âme et sentaient davantage les habitudes de la caste sociale à laquelle il appartenait. Ces distinctions peuvent paraître un peu subtiles pour la circonstance ; mais mademoiselle Viefville avait passé sa vie dans la bonne société, et elle était chargée d’une responsabilité qui lui avait rendu indispensable de savoir juger et observer, et surtout observer les individus de l’autre sexe.

Chacun de ces étrangers avait son domestique, et tandis qu’on transportait leurs bagages, ils s’approchèrent du rouffle avec le capitaine. Tout Américain qui n’a pas beaucoup vécu dans le monde, paraît avoir la manie des présentations. Le capitaine Truck ne formait pas une exception à cette règle, car, quoiqu’il connût fort bien toutes les parties d’un bâtiment, et qu’il sût sur le bout du doigt toute l’étiquette du gaillard d’arrière, il était dans l’eau douce quand il s’agissait des relations sociales. Il était de ces gens qui s’imaginent que boire un verre de vin avec quelqu’un et présenter un individu à un autre, c’est la pierre de touche du bon ton ; car il était bien loin de s’imaginer que l’un et l’autre ne doivent se faire qu’en certaines occasions. Le digne capitaine, qui avait commencé sa vie sur le gaillard d’avant, sans aucune connaissance préalable des usages du monde, et qui était imbu du principe que les manières font l’homme, maxime qu’il entendait dans le sens le plus étroit, était scrupuleux observateur de tout ce qu’il supposait être le bon ton, et regardait comme son devoir spécial de présenter ses passagers les uns aux autres pour les mettre plus à l’aise ensemble, ce qui, comme il est à peine besoin de le dire, produisait un effet contraire sur ceux qui étaient d’une classe supérieure.

— Vous vous connaissez sans doute, Messieurs, dit-il tandis qu’ils s’approchaient tous trois du rouffle.

Les deux voyageurs tâchèrent d’avoir l’air de prendre intérêt à ce qu’il leur disait, et M. Sharp lui répondit nonchalamment qu’ils