Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/262

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genre. Il est même rare qu’on puisse leur échapper sur une embarcation.

— J’espère du moins que nous sommes en sûreté ici, dit Ève en tremblant, moitié par plaisanterie, moitié par frayeur véritable.

— Je ne vois aucun motif d’alarme ou nous sommes, tant que nous pourrons maintenir le bâtiment à une certaine distance de la côte. Les Arabes n’ont pas de barques, et quand même ils en auraient ils n’oseraient attaquer un bâtiment à flot ; à moins qu’ils ne fussent instruits qu’il est sans défense, comme nous le sommes en ce moment.

— C’est une pauvre consolation, Messieurs, mais nous comptons sur vos soins. — Mademoiselle, je crois qu’il doit être près de minuit.

Ève et sa compagne souhaitèrent une bonne nuit aux deux jeunes gens, et se retirèrent dans leur chambre. M. Sharp resta encore une heure avec M. Blunt, qui s’était chargé de faire le premier quart. Ils causèrent gaiement et avec confiance, car, quoiqu’ils n’ignorassent pas qu’ils étaient rivaux, leur rivalité était une lutte franche et généreuse, qui n’empêchait pas que chacun d’eux rendît justice à l’autre. Ils parlèrent de leurs voyages, des costumes des différents pays qu’ils avaient parcourus, des aventures qu’ils y avaient eues, et du plaisir qu’ils avaient goûté en voyant des lieux que les arts avaient rendus célèbres, ou qui rappelaient de grands souvenirs. Aucun d’eux ne prononça un seul mot qui eût rapport à l’aimable créature qui venait de les quitter, et que chacun d’eux croyait encore voir longtemps après que sa forme légère et pleine de grâces avait disparu. Enfin M. Sharp descendit, son compagnon ayant insisté pour qu’il le laissât seul, en le menaçant de rester lui-même debout pendant le second quart. À compter de ce moment, il n’y eut plus d’autre bruit à bord du paquebot que celui des pas de la sentinelle solitaire qui se promenait sur le pont. À l’heure convenue, M. Sharp revint pour faire son quart à son tour. Celui qui avait dormi veilla, et celui qui avait veillé alla dormir. Mais comme l’aurore commençait à paraître, Paul Blunt, qui dormait profondément, se sentit tirer par le bras.

— Pardon ! lui dit M. Sharp à voix basse, mais je crains que nous ne soyons sur le point d’être interrompus dans notre solitude d’une manière fort désagréable.

— Puissances célestes ! ce ne sont pas les Arabes ?

— Rien de moins, à ce que je crains ; mais il fait encore trop obscur pour être certain du fait. Levez-vous, je vous prie, et nous pourrons