Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ève ! dit son père d’un ton solennel ; quoique ses lèvres tremblassent. Puisse cet être redoutable dont les voies, quoique mystérieuses, sont toujours marquées par la sagesse et la merci, vous soutenir dans cette cruelle épreuve et vous conduire sans tache et sans souillure dans le séjour de la paix éternelle. Dieu m’a retiré de bonne heure votre mère ; je m’étais flatté que vous me resteriez pour être la consolation de ma vieillesse ; que sa main vous bénisse, ma chère Ève ! je le prierai jusqu’à mon dernier moment pour que vous passiez dans son sein aussi pure et aussi digne de son amour que celle qui vous a donné la naissance.

John Effingham laissa échapper un profond gémissement. Il faisait les plus grands efforts pour réprimer sa sensibilité, mais il fallut qu’elle éclatât, quoique à demi-étouffée.

— Prions tous ensemble, mon père ; — Nanny, ma bonne Nanny, vous qui m’avez appris la première à bégayer une action de grâces et une prière, mettez-vous à genoux à côté de moi ; et vous aussi, Mademoiselle : quoique nous ne professions pas la même croyance, nous adorons le même Dieu. — Cousin John : vous priez souvent, je le sais, quoique vous cachiez vos émotions avec tant de soin ; voici une place pour vous près de votre famille. — Je ne sais si ces messieurs sont trop fiers pour prier.

Les deux jeunes gens s’agenouillèrent comme les autres, et il y eut un long intervalle de silence pendant lequel chacun fit sa prière suivant ses habitudes.

— Mon père, dit enfin Ève en relevant la tête, mais encore à genoux, et souriant à celui pour qui elle avait une si pieuse tendresse, il nous reste une espérance bien précieuse dont les Arabes mêmes ne peuvent nous priver : ces barbares peuvent nous séparer, mais il dépend de Dieu seul de nous réunir pour toujours.

Mademoiselle Viefville passa un bras autour de la taille de sa pupille, et la serra contre son cœur.

— Il n’y a qu’un séjour pour les bienheureux, ma chère demoiselle ; et la même expiation a été offerte pour nous tous. Se relevant alors, Ève ajouta avec la grâce et la dignité qui la caractérisaient : Embrassons-nous, cousin John ; nous ne savons pas si nous aurons jamais l’occasion de nous donner une autre preuve de notre affection mutuelle. Vous avez toujours été pour moi plein de bonté et d’indulgence, et quand je vivrais vingt ans dans l’esclavage, je ne cesserais jamais de penser à vous avec regret et amitié.

John Effingham serra dans ses bras sa charmante cousine comme aurait pu le faire le père le plus tendre.