Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/325

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ayant été attachées ensemble, toutes les embarcations et le radeau commencèrent à avancer vers le sud de manière à arriver en deux heures à l’entrée de la passe.

— Voici la route des îles du Cap Vert, Messieurs, dit le capitaine avec un ton d’amertume. — Nous aurons à passer devant notre porte, avant d’aller demander l’hospitalité à des étrangers. — Faites une distribution de grog, monsieur Leach ; il est juste que nos hommes fassent un bon repas avant de se servir de leurs armes.

Quant à lui, il ne voulut rien prendre ; il mâcha le bout d’un cigare, et continua à se promener sur le rouffle.

Au bout d’une demi-heure, tout le monde avait déjeuné ; les embarcations, ainsi que le radeau, avaient déjà fait bien du chemin. Il faisait alors grand jour, et le capitaine dit à ses passagers : — Messieurs, faites-moi le plaisir de me suivre ; je désire me consulter avec vous : je le dois à votre situation.

Il les conduisit sur l’arrière de la chaloupe danoise, et leur parla ainsi :

— Messieurs, toute chose dans ce monde à sa nature et ses principes. Je vous crois tous trop instruits et trop bien élevés pour nier cette vérité. La nature d’un voyageur est de voyager et de voir ce qu’il y a de curieux ; celle du vieillard est de songer au passé ; celle du jeune homme d’espérer en l’avenir. La nature d’un marin est de s’attacher à son bâtiment ; et celle d’un bâtiment d’être traité comme doit l’être un bâtiment, et non saccagé comme une ville prise d’assaut ou un couvent mis au pillage. Vous n’êtes que passagers, et vous avez certainement vos désirs comme j’ai les miens. Vos désirs sont assurément de vous trouver à New-York parmi vos amis ; les miens sont d’y conduire aussi le Montauk le plus tôt et avec le moins d’avaries possible. Vous avez parmi vous un bon navigateur ; je vous propose donc de prendre la chaloupe du Montauk avec les provisions nécessaires, et de faire voile sur-le-champ pour les îles du Cap Vert. Je prie Dieu que vous y arriviez tous en sûreté ; que vous trouviez ensuite en Amérique tous vos amis en bonne santé, et que le retard de votre arrivée ne leur ait pas causé trop d’inquiétude. Vos effets seront remis à ceux que vous chargerez de les recevoir, s’il plaît à Dieu de me permettre de pouvoir en faire la remise.

— Vous avez dessein d’essayer de reprendre le Montauk ? s’écria Paul.

— Oui, Monsieur, répondit le capitaine, qui pour la première fois de la matinée fit entendre un vigoureux heim ! et alluma un cigare. Ce projet peut réussir ou échouer, Messieurs : s’il réussit, vous enten-