Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/80

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comme la plupart des hommes de sa classe, il avait beaucoup plus de respect pour la force pratique que pour tous les arguments tirés des livres. Il jugea donc prudent de garder le silence, quoiqu’il doutât fort de l’efficacité d’une citation de Vattel quand elle se trouverait en opposition avec un ordre par écrit de l’amiral du port à Portsmouth, ou même avec un signal de l’amirauté de Londres.

Le jour en s’avançant opéra un changement graduel dans la situation relative des deux bâtiments ; quoique si lentement, que le capitaine Truck en conçut un grand espoir de pouvoir donner le change à l’Écume la nuit suivante, qui promettait d’être sombre et orageuse. Il avait la ferme intention de retourner à Portsmouth, mais seulement après avoir conduit ses passagers et déchargé son fret à New-York. Car, comme tous les hommes qui se sont voués corps et âme à l’accomplissement d’un devoir spécial, il pensait que ne pas atteindre son but immédiat était une calamité beaucoup plus redoutable que des maux deux fois plus grands vus dans l’éloignement. D’ailleurs il était plein de confiance dans la libéralité des autorités d’Angleterre en tout état de cause, et il ne doutait guère qu’il ne fût en état de se soustraire, lui et son bâtiment, aux peines qu’aurait pu lui faire encourir l’indiscrétion ou la cupidité de quelqu’un de ses subordonnés.

Comme le soleil faisait tomber ses derniers rayons sur le sillage du Montauk, la plupart des passagers reparurent sur le pont pour voir quelle était la situation des deux bâtiments, et former leurs conjectures sur le résultat probable de cette aventure. Pendant toute la journée, l’Écume avait viré deux fois : d’abord pour gagner le vent du paquebot, et ensuite pour reprendre la chasse aux mêmes amarres. Le Montauk était trop bon voilier pour qu’il fût aisé de l’atteindre, et le croiseur était alors tellement en arrière qu’on n’en voyait presque que les voiles ; mais il était évident qu’il avançait si rapidement, qu’il arriverait bord à bord avant le lever du soleil. Le vent ne soufflait que par grains, circonstance qui est toujours en faveur d’un bâtiment de guerre, parce qu’ayant un équipage plus nombreux, il peut toujours augmenter ou diminuer de voiles avec aisance et rapidité.

— Ce temps variable nous donne un désavantage d’un mille par heure, dit le capitaine Truck qui était loin d’être content de voir un bâtiment quelconque meilleur voilier que le sien ; et s’il faut dire la vérité, je crois que ce drôle gagne un demi-nœud sur nous par heure avec cette brise et au plus près. Mais il n’a pas de cargaison ; et l’on oriente ces bâtiments comme une romaine. Donnez-nous