Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/261

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Il avait du respect pour l’homme qui en avait vu une sur la surface de l’Océan, et il sentit tout à coup sa gloire éclipsée par celle d’un marin qui en avait vu prendre trois, et qui avait passé toute sa vie parmi ces animaux gigantesques. Repoussant son bonnet en arrière, il regarda une minute le capitaine, et oublia le mécontentement que lui avaient causé ses sogdolladers, quoiqu’il fût encore porté à regarder comme un conte tout ce qu’il en avait dit.

— Capitaine Truck, dit-il d’un ton solennel, je conviens que je ne suis qu’un ignorant, un homme sans expérience, et qui a passé toute sa vie sur ce lac, qui, quelque grand et quelque beau qu’il soit, ne doit paraître qu’un étang aux yeux d’un marin comme vous qui a passé tant d’années sur l’Atlantique.

— L’Atlantique ! s’écria le capitaine d’un air de mépris ; j’aurais une pauvre opinion de moi si je n’avais vu que l’Atlantique. Sur ma foi quand je suis sur l’Atlantique pour faire une traversée de New-York à Porstmouth, il me semble que je suis sur une barque de canal, remorquée par des chevaux marchant sur un chemin de halage. En fait de mers, parlez-moi de l’océan Pacifique ou de la grande mer du Sud, où un homme peut naviguer un mois le vent en poupe pour aller d’une île à une autre. Parlez-moi de cet océan où il se trouve une manufacture d’îles en nombre suffisant pour fournir le marché, et de toute grandeur, pour convenir à chaque pratique.

— Une manufacture d’îles ! répéta le commodore, qui commençait à regarder son compagnon avec un respect qu’il n’aurait jamais cru pouvoir éprouver pour quiconque pouvait venir sur le lac Otségo. En êtes-vous bien sûr, Monsieur ? Ne faites-vous pas quelque méprise ?

— Pas la moindre ; non seulement des îles, mais des archipels entiers sont fabriqués tous les ans par les insectes de la mer dans cette partie du monde. Mais il ne faut pas vous faire une idée des insectes d’un tel océan par ceux que vous voyez sur une goutte d’eau comme celle-ci.

— J’ose dire qu’ils sont aussi gros que nos brochets ou nos saumons, dit le commodore dans la simplicité de son cœur ; car son amour-propre local et exclusif était alors complètement subjugué, et il n’y avait presque rien qu’il ne fût prêt à croire.

— Je ne parle pas de leur taille ; c’est à leur nombre et à leur industrie que je fais allusion. Dites-moi maintenant, un seul requin ne mettrait-il pas tout votre lac en commotion ?