Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être bues, pour quoi sont-elles faites ? Les sociétés de tempérance pourront-elles résoudre cette difficulté ?

— Commodore, je vous souhaite encore vingt bonnes années de pêche sur ce lac, qui me paraît plus beau à chaque instant, et j’avoue qu’il en est de même de toute la terre, et pour vous prouver que je ne dis que ce que je pense, j’en attesterai la vérité en buvant.

Le capitaine fixa son œil droit sur la nouvelle lune, qui se trouvait alors à une hauteur convenable, ferma le gauche, et resta si longtemps dans cette attitude, que le commodore commença à craindre qu’il ne lui restât pour sa part que les pépins des citrons. Mais cette crainte ne venait que de ce qu’il ne connaissait pas suffisamment le caractère de son compagnon ; car c’était l’homme le plus équitable qu’on aurait pu trouver parmi les maîtres de bâtiments ; et si quelqu’un eût mesuré ce qui restait dans le bol quand il le remit au vieux pêcheur, il aurait vu qu’il ne s’en fallait pas de ce que peut contenir un dé qu’il n’en restât précisément la moitié. Ce fut alors le tour du commodore, et quand il eut fini de boire, le fond du bol était en ligne perpendiculaire avec sa bouche. Pendant que l’honnête pêcheur respirait après cet exploit, en baissant les yeux du haut du ciel sur la surface de la terre, il vit une barque qui traversait le lac, et qui venait du Pin-Silencieux à la pointe de terre sur laquelle ils discutaient si agréablement le mérite de la tempérance.

— C’est la compagnie du wigwam, dit-il, et ils arriveront à temps pour se convertir à nos opinions, s’ils ont quelques doutes sur les objets que nous avons discutés. Leur céderons-nous la place en remontant dans la barque, ou vous sentez-vous disposé à faire face à des femmes ?

— Dans des circonstances ordinaires, commodore, je préfèrerais votre société à tous les cotillons du monde ; mais il y a dans cette barque deux dames dont j’épouserais l’une ou l’autre à une heure d’avis.

— Monsieur, dit le commodore d’un ton grave, nous autres qui avons vécu garçons si longtemps, et qui sommes mariés à l’eau, nous ne devrions jamais plaisanter sur un sujet si sérieux.

— Je ne plaisante nullement. Je parle de deux femmes, dont l’une a vingt ans et l’autre soixante-dix, et je veux être pendu si je sais laquelle je préfère.