Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/297

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colonel Ducie. Elle était sœur cadette de ma mère ; et malgré quelque jalousie et un peu de froideur qui, je crois, a disparu maintenant, je pense qu’elle l’aimait ; quoiqu’on puisse à peine répondre de la durée des affections de famille dans un pays où les institutions et les habitudes sont aussi artificielles qu’en Angleterre.

— Croyez-vous donc qu’il y ait moins d’affection de famille en Angleterre qu’en Amérique ?

— Je n’irai pas si loin, mais je crois qu’aucun de ces deux pays n’est remarquable pour posséder ce sentiment a un bien haut degré. En Angleterre, parmi les hautes classes, il est impossible que l’affection ne soit pas affaiblie par tant d’intérêts opposés. Quand un frère sait qu’il n’existe entre le rang et la fortune et lui que les prétentions d’un homme né douze mois avant lui, il le regarde comme un rival plutôt que comme un frère, et la tentation d’envier et même de haïr l’emporte quelquefois sur le devoir d’aimer.

— Et cependant les Anglais disent que les services rendus par l’aîné à son frère plus jeune, et la reconnaissance de celui-ci envers le premier, sont de nouveaux liens ajoutés à ceux du sang.

— Cela serait contraire à tout ce que l’expérience nous apprend. Le plus jeune s’adresse à l’aîné plutôt qu’à un étranger pour obtenir son aide, parce qu’il croit en avoir le droit ; et quel homme, s’imaginant avoir un droit, croit jamais qu’on lui a rendu pleine justice ? Et quel est celui qui, étant requis de s’acquitter d’un devoir, ne croit pas toujours avoir fait plus qu’on ne pouvait raisonnablement lui demander ?

— Je crains que vous n’ayez pas une très-bonne opinion de la nature humaine, monsieur Powis.

— Il peut y avoir des exceptions, mais je crois que ce sentiment est très-commun parmi les hommes. Du moment qu’un devoir est créé, naît une disposition à croire qu’on peut le remplir aisément ; et de tous les sentiments celui d’une reconnaissance continuelle est celui qui est le plus à charge. Je crains que le frère aîné qui aide son frère ne le fasse par orgueil de famille plutôt que par affection naturelle.

— Qu’est-ce donc qui relâche les liens de la nature parmi nous, où il n’existe pas de loi de primogéniture ?

— Ce qui relâche tous les autres liens, — l’amour du changement qui a crû avec les habitudes de migration du peuple, et qui,