Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/302

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— C’était autrefois une théorie favorite des Européens, dit-il avec une ironie amère, que tous les animaux de cet hémisphère avaient été placés dans un état d’infériorité à l’égard de ceux de l’ancien monde, et ils ne sont pas encore entièrement désabusés de cette idée. Ils supposaient que l’Indien était sans passions parce qu’il avait de l’empire sur lui-même, et ce qui aurait passé dans un Européen pour la preuve d’une âme noble, était appelé en lui férocité et soif de vengeance. Vous et moi nous avons vu l’Europe, miss Effingham ; nous avons été en présence de ce qui s’y trouve de plus sage, de plus noble et de plus éclairé ; eh bien, à l’exception des résultats immédiats de leurs systèmes politiques, factices et élaborés, les Européens ont-ils à se vanter de quelque avantage qui soit refusé aux Américains, – ou plutôt qui fût refusé à ceux-ci s’ils avaient une indépendance intellectuelle égale à leur liberté politique ?

— Et vous croyez qu’ils ne la possèdent pas ?

— Comment un peuple pourrait-il la posséder quand il importe chez lui les idées des autres comme leurs marchandises ; quand il ne sait pas même inventer ses préjugés ?

— Il faut passer quelque chose à l’habitude et à l’influence du temps. L’Angleterre elle-même a probablement hérité de quelques-unes des fausses idées des Saxons et des Normands.

— Cela est possible et même probable. Mais quand l’Angleterre conçoit de fausses idées sur la Russie, sur la France, sur la Turquie ou sur l’Égypte, elle cède à un intérêt anglais et non américain. Ses erreurs sont du moins excusables jusqu’à un certain point, parce qu’elles lui sont utiles, au lieu que les nôtres ne sont que trop souvent contraires à nos intérêts les plus évidents. Nous ne sommes jamais indépendants que lorsqu’il s’agit de quelque intérêt clair et pressant, qui se rattache à l’argent. — Mais j’aperçois quelqu’un qui ne fait point partie de notre compagnie.

Un étranger se montrait alors dans l’allée où ils étaient, et il marchait avec l’indécision d’un homme qui ne sait s’il doit avancer ou reculer. Des fusées volantes tombaient de temps en temps dans le jardin, et des enfants qui voulaient ramasser les baguettes y avaient même fait une ou deux incursions, qui avaient été tolérées à cause de l’occasion ; mais le nouvel intrus était un homme sur le déclin de la vie, ayant l’air d’un bon marchand, et il était évident qu’il ne cherchait pas des baguettes de fusées, car ses yeux se fixaient sur les personnes qui passaient devant lui de