Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/382

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— Elle peut avoir changé d’avis, mistress Abbot. Elle n’en sera pas moins riche, et elle épousera un homme plus jeune.

— Cela est monstrueux ! Je suis sûre que ce sera un soulagement pour tout le village quand elle sera mariée, que ce soit au père ou au fils. Maintenant, monsieur Dodge, savez-vous bien que je me suis creusé la tête à en mourir pour découvrir si véritablement ces deux Effingham n’étaient pas frères ? Je savais qu’ils se nommaient cousin John et cousin Édouard, et qu’Ève affectait d’appeler son oncle cousin John ; mais elle a tant d’affectation, et les deux vieillards ont pris tant d’habitudes étrangères, que je regardais tout cela comme une frime. Je me disais à moi-même, un voisinage doit connaître la famille d’un homme mieux qu’il ne peut la connaître lui-même, et tout le voisinage disait qu’ils étaient frères ; et voilà qu’il arrive après tout qu’ils ne sont que cousins.

— Oui ; je crois que pour cette fois la famille avait raison, et que le voisinage se trompait.

— Eh bien ! monsieur Dodge, je voudrais bien savoir qui a plus le droit de se tromper que le public ? Nous sommes dans un pays libre, et si le peuple ne peut quelquefois se tromper, à quoi lui sert sa liberté ? Nous sommes tous de malheureux pécheurs, pour ne rien dire de pire, et que peut-on attendre de pécheurs, si ce n’est qu’ils commettent des erreurs ?

— Vous êtes trop sévère pour vous-même, ma chère mistress Abbot, car chacun convient que vous êtes aussi exemplaire que dévouée à vos devoirs religieux.

— Oh ! je ne parlais pas particulièrement de moi-même, Monsieur ; je ne suis point égoïste quand il s’agit de pareilles choses, et j’abandonne volontiers mes imperfections à la charité de mes amis et de tous mes voisins. — Mais croyez-vous, monsieur Dodge, qu’un mariage entre Paul Effingham, — car je suppose qu’il faut l’appeler ainsi, — et Ève Effingham, puisse être légal ? Ne peut-on l’empêcher ? et si cela arrivait, sa fortune ne passerait-elle pas au public ?

— Cela devrait être, ma chère dame, et j’espère que le temps n’est pas éloigné où cela sera. Le peuple commence à connaître ses droits, et un siècle ne se passera pas sans qu’il les fasse valoir par le moyen de toutes les lois pénales nécessaires. Dès à présent, nous avons amené les choses au point que personne ne peut plus céder au désir aristocratique et égoïste de faire un testament, et