CHAPITRE XXIX.
e matin choisi pour le mariage d’Ève et celui de Grace arriva,
et tous les habitants du wigwam furent sur pied de très-bonne
heure ; mais on avait pris tout le soin possible pour empêcher que
la nouvelle de cette cérémonie ne se répandît dans le village. Ils
ne savaient pourtant guère combien ils étaient surveillés de près,
et à quels bas artifices avaient eu recours quelques-uns de leurs
voisins pour gagner des domestiques, afin de procurer de la pâture
à leur commérage, et pour justifier à leurs propres yeux leurs
exagérations, leurs mensonges et leurs fraudes. La nouvelle
s’éventa donc, comme on le verra tout à l’heure, et ce fut par suite
d’une cause qui pourra surprendre ceux de mes lecteurs qui ne
connaissent pas toutes les particularités de la vie américaine.
Nous avons plus d’une fois parlé d’Annette, femme de chambre qui était venue d’Europe avec Ève, quoique nous n’ayons pas eu occasion de donner une esquisse de son caractère. C’était en général celui des femmes de sa classe, comme on sait qu’elle existe en France. Annette était jeune et bien faite, avait des yeux noirs étincelants, et elle y joignait la tournure et les manières ordinaires d’une grisette parisienne. Comme c’est la méprise ordinaire des provinces dé prendre les grâces factices pour la grâce naturelle, la vanité pour l’élégance et l’exagération pour le mérite, Annette se fit bientôt une réputation dans son cercle, comme ayant des droits plus qu’ordinaires à être distinguée. Sa mise était toujours très-recherchée, et comme elle ne portait guère que les robes que sa maîtresse mettait au rebut, elles étaient toujours des plus belles étoffes. Or, le costume est un point qui a aussi une forte influence sur ceux qui n’ont pas l’expérience du monde.
Comme la double cérémonie devait avoir lieu avant le déjeuner, Annette fut occupée de bonne heure à faire la toilette de noces