Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/365

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tit une douleur semblable à celle que lui aurait causée un fer aigu enfoncé dans son cœur lorsqu’elle crut comprendre à travers les réticences de l’Indienne que les renseignements provenaient d’une face-pâle placée sous les ordres de Duncan de Lundie ; ceci fut cependant insinué plutôt qu’exprimé, et quand Mabel eut le loisir de réfléchir sur les paroles de sa compagne et de se rappeler combien ses phrases étaient courtes et sentencieuses, elle trouva des motifs d’espérer qu’elle avait mal compris, et que Jasper Western sortirait encore de là justifié de tout soupçon injurieux.

Rosée-de-Juin n’hésita pas à avouer qu’on l’avait envoyée dans l’île pour s’assurer du nombre précis et des occupations de ceux qui y étaient restés, tout en laissant voir aussi avec sa naïveté ordinaire, que le désir d’être utile à Mabel l’avait surtout décidée à accepter cette mission. Par suite de son rapport et des informations obtenues précédemment, les ennemis connaissaient le montant exact des forces qu’on pouvait leur opposer. Ils connaissaient aussi le nombre d’hommes partis avec le sergent Dunham ainsi que le but de l’expédition, bien qu’ils ignorassent l’endroit où celui-ci espérait rencontrer les bateaux des Français. Un observateur aurait aimé à être témoin de cet entretien, et à voir combien ces femmes, toutes deux si sincères, désiraient apprendre ce qui pouvait servir leurs amis respectifs, et avec quelle délicatesse naturelle chacune s’interdisait de provoquer des aveux qui auraient pu être inconvenants pour l’autre, tandis qu’un sentiment presque d’instinct les empêchait de rien dire qui pût nuire à leur propre nation ; aussi confiantes pour ce qui les concernait seules, que réservées pour ce qui regardait leurs amis respectifs. L’indienne était aussi impatiente que Mabel pouvait l’être sur d’autres points de savoir où le sergent avait dirigé ses pas et l’époque de son retour, mais elle s’abstint de toute question sur ce sujet, avec une délicatesse qui aurait fait honneur à la plus haute civilisation. Elle n’essaya pas non plus d’arriver au même but par une voie détournée, et cependant lorsque Mabel abordait de son propre mouvement quelque sujet qui lui semblait pouvoir répandre un peu de clarté sur cet objet, elle écoutait avec une attention qui suspendait presque sa respiration.

Les heures s’écoulèrent ainsi inaperçues, car toutes deux écoutaient avec trop d’intérêt pour penser au repos. Vers le matin pourtant la nature réclama ses droits, et Mabel ayant con-