Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/120

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ceux qui pensent ou qui parlent follement, autant vaudrait passer notre vie le fer à la main. Laissez plaisanter les jeunes nobles, si cela leur fait plaisir, mais ne me donnez pas lieu de regretter mon amitié pour vous.

Luis lui fit les plus belles promesses ; mais à l’instant même, et comme si ses pensées rebelles voulaient revenir au même sujet malgré lui, il ajouta :

— Vous parlez des nobles comme s’ils étaient d’une classe différente de la vôtre ; — sûrement, señor Colon, vous êtes noble ?

— En résulterait-il une différence dans vos opinions et vos sentiments, jeune homme, si je vous répondais négativement ?

Les joues de don Luis se couvrirent de rougeur, et il se repentit un instant de sa question ; mais, retombant sur-le-champ dans son caractère de franchise et de générosité, il répondit sans réserve et sans duplicité :

— Par saint Pédro, mon nouveau patron ! je voudrais que vous fussiez noble, Señor, quand ce ne serait que pour l’honneur qui en rejaillirait sur tout notre ordre. Il y a parmi nous tant de gens qui ne font nul honneur à leurs éperons, que vous seriez une acquisition à laquelle nous ne saurions attacher trop de prix.

— Il n’y a que changements dans le monde, Señor, répondit Colomb en souriant. Les saisons changent tour à tour ; le jour fait place à la nuit ; les comètes vont et viennent ; des monarques deviennent sujets, et des sujets monarques ; des nobles ne savent plus ce qu’ont été leurs ancêtres, et des plébéiens s’élèvent à la noblesse. Il y a parmi nous une tradition que nous étions autrefois de la classe privilégiée, mais le temps et la mauvaise fortune nous ont fait descendre à d’humbles emplois. Perdrai-je l’honneur de la compagnie de don Luis de Bobadilla dans mon grand voyage, si je suis plus heureux en France qu’en Castille, parce qu’il arrive que son commandant a perdu ses preuves de noblesse ?

— Ce serait un motif indigne de moi, Señor, et je me hâte de détruire votre méprise. Mais, comme nous sommes sur le point de nous séparer pour quelque temps, je vous demande la permission de vous ouvrir entièrement mon âme. Lorsque j’entendis pour la première fois parler de ce voyage, je fus frappé de l’idée que ce ne pouvait être que le projet d’un fou….

— Ah ! don Luis, s’écria Colomb en secouant la tête d’un air mélancolique, cette opinion n’est que trop répandue, et je crains bien que Ferdinand d’Aragon et ce fier prélat qui à tout récem-