Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/124

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D’autres idées occupaient Colomb tandis qu’il voyageait de son côté. Pendant sept longues années il avait sollicité les monarques et les nobles d’Espagne de l’aider dans son entreprise. Pendant tout ce temps, quelle pauvreté, combien de mépris, de ridicule et même de haine, n’avait-il pas supportés avec patience, plutôt que de renoncer à tâcher de profiter de la légère impression favorable qu’il avait faite sur quelques-uns des esprits les plus libéraux et les plus éclairés de cette nation. Il avait travaillé pour gagner son pain, tandis qu’il sollicitait les grands de l’aider à les rendre plus puissants encore qu’il ne l’étaient ; il avait saisi avec joie chaque rayon d’espérance, quelque faible qu’il fût, et il avait supporté chaque désappointement avec une constance dont l’esprit le plus exalté est seul capable. Mais il avait maintenant à endurer la plus cruelle de toutes ses afflictions. Son rappel par Isabelle avait éveillé en lui une confiance qu’il n’avait pas éprouvée depuis longtemps, et il avait attendu la fin du siège de Grenade avec une dignité calme qui convenait à ses projets comme à sa philosophie. L’heure du loisir était arrivée, et qu’avait-elle amené ? le renversement de toutes ses espérances. Il avait cru que ses motifs étaient compris, que son caractère était apprécié, et que l’importance de ses projets était sentie ; mais en ce moment il se voyait regardé comme un visionnaire, on se méfiait de ses intentions, on rejetait avec mépris ses offres de service. En un mot, l’espoir brillant qui l’avait soutenu durant tant d’années venait de s’évanouir en un seul jour, et l’espérance aussi courte que trompeuse qu’avait fait naître un instant de faveur ne servait qu’à rendre plus pénible son désappointement.

Il n’est donc pas surprenant que, lorsqu’il se trouva seul sur le grand chemin, le courage de cet homme extraordinaire l’ait presque abandonné, et qu’il ait été obligé d’implorer le secours d’un pouvoir supérieur à celui des hommes. Sa tête tomba sur sa poitrine, et il éprouva un de ces moments pleins d’amertume, ou l’imagination s’occupe du passé pour se rappeler des souffrances, et de l’avenir sans y trouver un seul motif d’espoir. Le temps qu’il avait perdu en Espagne lui semblait une tache à son existence, puis venait la probabilité d’un nouveau temps d’épreuve peut-être aussi long que le premier, et dont il était possible que le résultat ne fut pas plus satisfaisant. Il était déjà entré dans sa soixantième année, et la vie lui paraissait glisser sous lui, pendant que ce qui en avait été le grand objet n’était pas accompli.