Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/151

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qu’à pas lents, et le destin de celle qu’elle allait laisser orpheline fut le sujet de bien des discussions entre nous. Qu’elle devînt la femme de tout autre que d’un noble chrétien, c’est ce que ni elle ni moi nous ne regardâmes jamais comme possible. Mais tant de caractères différents se cachent sous un même extérieur, que les noms ne nous trompèrent pas. Je crois que la pauvre femme pensait plus à la situation future de sa fille dans le monde qu’à ses propres péchés, et qu’elle fit plus de prières pour le bonheur de l’orpheline que pour le pardon des fautes qu’elle avait pu commettre elle-même. Vous ne connaissez pas toute la force de la tendresse d’une mère, Luis, et vous ne pouvez comprendre toutes les craintes dont son cœur est assiégé quand elle est à l’instant de laisser une tendre plante comme Mercédès au milieu d’un monde dur et égoïste.

— Je puis aisément me figurer la mère de celle que j’aime, doña Béatrix, comme digne d’arriver au ciel sans avoir besoin de messes et de pater, comme c’est l’usage. Mais les tantes n’ont-elles pas de la tendresse pour leurs neveux aussi bien que les mères pour leurs enfants ?

— C’est un lien bien étroit et bien fort, mon cher Luis ; mais il n’est pas comparable à l’amour maternel. D’ailleurs vous n’êtes pas non plus à comparer à une jeune fille sensible, enthousiaste, douée d’un cœur sincère, plein de confiance dans sa pureté, et ouvert aux sentiments qui distinguent les femmes lorsqu’elles sont devenues mères.

— Par saint Jacques ! ne suis-je pas précisément tout ce qu’il faut pour rendre heureuse une pareille créature ? Et moi aussi je suis sensible, — beaucoup trop, sur ma foi, pour ma propre tranquillité. — J’ai aussi un cœur sincère, ce qui se prouve par le fait que je n’ai jamais aimé qu’une seule fois, quand cela aurait pu m’arriver cinquante. Si je n’ai pas tout à fait une confiance aveugle dans ma pureté de cœur, j’ai la confiance que donnent la jeunesse, la santé, la force et le courage, ce qui est tout aussi utile pour un cavalier. Enfin je suis loin d’être dépourvu de cette affection qui fait les bons pères, et c’est tout ce qu’on peut raisonnablement exiger d’un homme.

— Et ainsi, vaurien que vous êtes, vous vous croyez, sous tous les rapports, digne de devenir l’époux de Mercédès de Valverde ?

— Vous avez une manière embarrassante de poser vos ques-