Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/184

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Croyez-vous que la Santa-Maria soit prête à la fin de ce mois ?

— Je le crois, Señor ; le bâtiment a été préparé avec toute la diligence possible, et il pourra porter environ soixante hommes, si la terreur panique qui s’est emparée de tant de fous à Palos nous en laisse un pareil nombre qui soit disposé à s’embarquer. J’espère que tous les saints voient nos efforts d’un œil favorable, et qu’ils récompenseront notre zèle quand nous en viendrons à partager les profits d’une entreprise qui n’a pas son égale dans les annales de la navigation.

— Ces profits, honnête Martin Alonzo, dit le prieur d’un ton expressif, se trouveront dans l’accroissement des domaines de l’Église, et dans la plus grande gloire de Dieu.

— Sans contredit, père Juan Pérez ; c’est là notre but commun : mais je crois qu’il est permis à un marin laborieux de songer à sa femme et à ses enfants, quoique dans une vue subordonnée à ces grandes fins : j’ai mal compris le señor amiral lui-même, s’il n’espère pas retirer quelque petit avantage, sous la forme d’or, de la visite que nous allons faire au Cathay.

— Vous ne m’avez pas mal compris, brave Martin Alonzo, dit Colomb d’un ton grave. J’espère certainement voir les richesses des Indes couler dans les coffres de la Castille, par suite de ce voyage. Dans le fait, digne prieur, la recouvrance du Saint-Sépulcre dépend principalement du succès de notre entreprise, en tant qu’elle peut dépendre d’efforts humains.

— Fort bien, señor amiral, dit Martin Alonzo avec un peu de vivacité ; c’est un projet qui doit nous honorer infiniment aux yeux de tous les bons chrétiens, et surtout des moines de la Rabida. Mais il est assez difficile de persuader aux marins de ce port d’obéir aux ordres de la reine, et de remplir leurs engagements avec nous, sans leur prêcher une croisade comme le meilleur moyen de se débarrasser du peu de maravédis qu’ils auront pu amasser à force de courage et de fatigues. Les dignes pilotes Francisco Martin Pinzon, mon propre frère, Sancho Ruiz, Pédro Alonzo Niño et Barthélemi Roldan, viennent de signer un engagement positif avec nous ; mais s’ils s’apercevaient qu’il s’agit d’une croisade, tous les saints du paradis ne les détermineraient pas à le remplir.

— Je ne regarde personne autre que moi comme obligé à l’exécution de ce projet, ami Pinzon, répondit Colomb avec calme. Chacun sera jugé selon ses propres œuvres. On ne demandera