Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/194

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entreprise qui semblait défier les lois de la nature et vouloir s’élever au-dessus des volontés de la Providence, l’esprit de Colomb était devenu plus tranquille : à mesure que le moment de mettre à la voile approchait, il n’était plus oppressé que par un sentiment de joie dont il cherchait à modérer l’intensité. Le père Juan Pérez dit à l’oreille de don Luis qu’il ne pouvait comparer la joie de l’amiral qu’à la douce extase d’un chrétien prêt à quitter un monde de peines et de chagrins pour entrer dans la jouissance inconnue mais certaine d’une bienheureuse immortalité.

Cette situation d’esprit était loin d’être celle de tous les habitants de Palos. L’embarquement eut lieu dans le cours de l’après-midi du 2 août, l’intention des pilotes étant de conduire les bâtiments, dans la soirée, près d’une pointe à la hauteur de la ville de Puelva, position plus favorable pour mettre à la voile que celle où ils étaient à l’ancre en face de Palos. La distance était courte ; mais, pour bien des gens, exécuter ce petit mouvements, c’était couper les amarres de la vie. Colomb se rendit à bord un des derniers, ayant à envoyer une lettre à la cour, et quelques autres devoirs importants à remplir. Enfin il quitta le couvent, et, accompagné de Luis et du prieur, il prit le chemin du rivage. Ce court trajet se fit en silence, car chacun d’eux était plongé dans de profondes réflexions. Jamais l’entreprise n’avait paru au digne franciscain si incertaine ni si périlleuse qu’en ce moment. Colomb récapitulait tous les détails de ses préparatifs. Luis pensait à la fille de la Castille, comme il avait pris l’habitude de nommer Mercédès, et calculait le nombre de jours qui devaient s’écouler avant de pouvoir seulement espérer de la revoir.

Ils s’arrêtèrent sur le rivage, attendant dans un endroit éloigné de toute habitation qu’on leur envoyât une embarcation. Là, le père Juan Pérez fit ses adieux aux deux aventuriers. Le long silence qu’ils avaient gardé faisait mutuellement sur chacun d’eux plus d’impression que n’aurait pu en faire toute conversation ordinaire ; mais il ne pouvait durer plus longtemps. Le prieur était vivement affecté, et il se passa quelques instants avant qu’il osât articuler un seul mot.

— Señor Christoval, dit-il enfin, depuis le jour où vous vous êtes montré pour la première fois à la porte du couvent de Santa-Maria de la Rabida, bien des années se sont écoulées ; elles ont été pour moi une source de plaisir et de véritable affection.