Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/196

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retour ; mais en ce moment glorieux, je n’éprouve aucun doute : je sais que ma vie est sous la garde de Dieu, et que le succès est caché dans les profondeurs de sa sagesse.

— Ces pensées sont consolantes dans une circonstance tellement sérieuse, Señor, et j’espère que la fin de votre entreprise en prouvera la justesse. — Mais j’aperçois votre barque qui s’approche, et il faut nous séparer. Adieu, mon fils ; vous savez que je vous accompagne en esprit dans ce grand voyage.

— Saint prieur, souvenez-vous de moi dans vos prières ; je suis faible, et j’ai besoin de cet appui. J’ai beaucoup de confiance en l’efficacité de votre intercession, aidée de celle de vos pieux frères. — Vous ferez dire pour nous quelques messes ?

— N’en doutez pas, mon fils. Tout ce que le couvent de la Rabida peut obtenir de la bienheureuse Marie et des saints, sans cesse il le demandera pour vous. Mais il n’est pas donné à l’homme de prévoir les événements, ils dépendent de la Providence ; et quoique nous regardions votre entreprise comme aussi infaillible que raisonnable, elle peut pourtant échouer.

— Elle ne peut échouer, mon père. Dieu l’a amenée au point où elle est aujourd’hui, et il ne permettra pas qu’elle échoue.

— C’est ce que nous ignorons, señor Colon ; auprès de ses desseins impénétrables, notre sagesse n’est qu’un grain perdu au milieu des sables de ce rivage. J’allais dire que, comme il est possible que vous reveniez ici déçu dans vos espérances, vous trouverez toujours la porte du couvent de Santa-Maria ouverte pour vous ; car il est aussi méritoire à nos yeux de tenter une noble entreprise, qu’il l’est souvent à ceux des autres d’y réussir.

— Je vous comprends, digne prieur, et cette preuve de votre amitié ne m’inspire pas moins de reconnaissance que les secours que vous avez donnés à mon fils. — Je voudrais, avant de partir, recevoir votre bénédiction.

— Mettez-vous donc à genoux, Señor ; car ce n’est pas Juan Pérez de Marchena qui va parler, mais le ministre de Dieu même.

Les yeux de Colomb et ceux du prieur se remplirent de larmes, car le cœur de l’un et de l’autre était touché d’une émotion bien naturelle dans un moment si solennel. Le navigateur aimait le franciscain, parce qu’il avait éprouvé son amitié dans un temps où il n’avait qu’un petit nombre d’amis timides ; et le digne prieur avait pour Colomb cet attachement que l’on conçoit sou-