Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/213

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sage, et nous ferons bien de surveiller tous nos matelots tant qu’ils auront quelque chance pour s’échapper.

— Si son absence eût été un mauvais présage, señor amiral, sa présence doit en être un favorable. Le brave homme est sur cette vergue au-dessus de nos têtes, et s’occupe à déferler la voile.

Colomb leva les yeux, et vit le jeune marin en question, placé en équilibre tout au bout de l’antenne que les bâtiments portaient dès lors à leurs mâts d’artimon, et balancé par le vent tandis qu’il larguait les rabans qui retenaient la voile. De temps en temps il regardait au dessous de lui, comme pour voir si son retour avait été remarqué, et une ou deux fois ses mains, ordinairement si agiles, mirent plus de lenteur à leur tâche lorsqu’il jeta un coup d’œil sur l’arrière du bâtiment, comme si quelqu’un eût attiré son attention de ce côté. L’amiral lui fit un signe pour lui annoncer qu’il le reconnaissait, et le jeune marin satisfait laissa aussitôt tomber la voile. Colomb s’avança ensuite de ce côté afin de s’assurer s’il n’y avait pas quelque barque auprès de son bâtiment, et en vit une dans laquelle se trouvait une femme que l’on avait laissée approcher plus près que les autres, par égard pour le sexe de celle qui la conduisait. C’était Monica, la femme de Pépé ; et dès qu’elle aperçut l’amiral, elle se leva et tendit vers lui ses mains jointes, désirant mais n’osant lui parler. S’apercevant qu’elle était intimidée par le bruit et la foule et peut-être par la proximité du bâtiment qu’elle aurait presque pu toucher de la main, Colomb lui adressa la parole avec douceur, et sa physionomie, ordinairement si grave et quelquefois même sévère, prit un air de bonté que Luis n’avait pas encore remarqué.

— Je vois que ton mari a été fidèle à sa promesse, bonne femme, lui dit-il, et je ne doute pas que tu lui aies dit qu’il est plus sage et meilleur de servir honorablement la reine que de vivre dans la honte comme un déserteur.

— Oui, Señor, je le lui ai dit. À présent que je sais que votre voyage a pour but le service de Dieu, Je laisse sans murmurer, sinon avec plaisir, mon mari remplir ses devoirs envers doña Isabelle. Je connais l’injustice de mes plaintes, et je prie le ciel que Pépé se montre toujours à la tête des autres, jusqu’à ce que les oreilles des infidèles s’ouvrent à la véritable foi.

— C’est parler en femme espagnole et en épouse chrétienne.