Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minutes plus tard ces trois bâtiments descendaient lentement l’Odiel, dans un des bras duquel ils avaient été ancrés, et s’avançaient vers la barre qui est près de l’embouchure. Le soleil n’était pas encore levé, ou pour mieux dire il commençait à se montrer par dessus les montagnes d’Espagne, à l’instant où les voiles furent établies, comme un globe de feu répandant une splendeur mélancolique sur une côte que beaucoup de ceux qui se trouvaient à bord des trois bâtiments craignaient de voir pour la dernière fois. Un grand nombre de barques suivirent les deux plus petits bâtiments jusqu’à la barre de Saltes, où ils arrivèrent une heure ou deux après, et quelques-uns persistèrent à les accompagner jusqu’au moment où ils rencontrèrent les longues vagues de l’océan. Alors, le vent étant vif et soufflant de l’ouest, elles s’en retournèrent successivement et comme à regret au milieu d’un concert de soupirs et de lamentations, pendant que les trois bâtiments flottaient avec assurance sur les eaux bleues de l’Océan sans rivages, comme des êtres humains silencieusement poussés par le destin vers un sort qu’ils ne peuvent ni prévoir, ni maîtriser, ni éviter.

Le jour était beau, et le vent fort et favorable. Jusqu’alors tous les augures semblaient donc propices ; mais l’avenir ignoré jetait un nuage sur l’esprit d’une grande partie de ceux qui quittaient ainsi, dans une sombre incertitude, tout ce qu’ils avaient de plus cher. On savait que l’amiral avait dessein de toucher aux Canaries, pour se lancer ensuite dans le désert de cet Océan inconnu dont aucun navire n’avait encore fendu les vagues. Ceux qui continuaient à douter considéraient donc ces îles comme le point où leurs dangers réels devaient commencer, et attendaient qu’elles se montrassent à l’horizon, avec un sentiment à peu près semblable à celui avec lequel le coupable attend le jour de son jugement, le condamné l’heure de son exécution, et le pécheur l’instant de la mort. Cependant plusieurs d’entre eux étaient supérieurs à cette faiblesse, ayant trempé l’acier de leurs nerfs et préparé leur esprit à braver tous les dangers ; mais les sentiments du plus grand nombre étaient en état de fluctuation perpétuelle : dans certains moments, l’attente et l’espoir du succès semblaient animer les trois équipages ; dans d’autres, la disposition à douter et à craindre devenait générale, le découragement presque universel.

Un voyage aux Canaries ou aux Açores devait très probable-